Camille – le prénom a été modifié - est maîtresse de conférence et tutrice INSPÉ ; je suis tutrice terrain d’une stagiaire en lettres ; c’est dans ce cadre que nous nous sommes rencontrées.
Son analyse de la réforme de la formation des futur.e.s enseignant.e.s du 2nd degré est alarmante.
La précédente maquette de l’année de stage faisait déjà de l’entrée dans le métier une année terrible pour les futur.e.s enseignant.e.s.
Mais à partir de la rentrée 2022, les étudiant.e.s en Master MEEF 2 devront, entre septembre et juin :
- assurer un stage en responsabilité
- réussir leur master MEEF
- rédiger leur mémoire professionnel
- préparer le CAPES.
C’est invivable et infaisable.
Effondrement de l’attractivité de la formation
Depuis deux ans, le recrutement a fondu, la formation au CAPES de lettres modernes n’attire plus.
Souffrance intense des étudiant.e.s
La promotion actuelle, la première à vivre la dernière réforme de la formation initiale, est en grande souffrance.
Les démissions se multiplient : les étudiant.e.s s’épuisent et se découragent. Fait notable, ce sont les plus motivé.e.s au départ qui renoncent.
Les autres travaillent d’arrache-pied ou font un burn out.
La charge de travail est telle qu’il leur est impossible de tout faire et qu’ils doivent faire des choix : ils sont placés en situation d’échec car cette formation les empêche d’accomplir leur travail.
Ajoutons que les nouvelles épreuves au capes ont changé : une seule épreuve sur les quatre évalue leur niveau en littérature, les autres sont de la didactique et de la connaissance du système éducatif.
Le niveau des étudiants qui préparent le CAPES a tellement chuté (car les meilleurs vont ailleurs), que le sujet cette année était du niveau d’un sujet du bac : « Les contes sont-ils des récits édifiants ? ». Il faut savoir que la dissertation est sur programme et que cette question portait sur les contes de Perrault.
Ils sont obligés de bâcler la préparation des cours qu’ils dispensent dans le secondaire.
Ils ne peuvent préparer décemment leur concours et son placés en situation d’échec.
Une maquette insensée
- Le nombre d’heures dédiées aux contenus disciplinaires est largement insuffisant, d’autant que beaucoup d’étudiant.e.s n’ont pas suivi un cursus en lettres – désormais, seule une minorité des étudiant.e.s de Camille ont une licence de lettres ; les autres ont fait du droit, de la communication… et préparent un CAPES de lettres.
- Le volume horaire dédié à la théorie de la didactique et à la méthodologie du mémoire est équivalent à celui qui est dédié aux contenus disciplinaire. C’est absurde : ces étudiant.e.s se destinent à l’enseignement, et non à la recherche.
- L’essentiel du volume horaire est consacré à des contenus transversaux, certes utiles, mais au détriment des savoirs disciplinaires.
- Alors que les étudiant.e.s ont besoin de savoirs concrets, pratiques, ils doivent suivre des cours de théorie de la didactique.
Des perspectives d’avenir inacceptables
Pour celles et ceux qui réussiront le concours, ils débuteront dans le métier, à temps complet, sans avoir eu le temps de réfléchir à leur pratique ni d’apprendre à préparer leurs cours.
Les autres – pour celles et ceux qui persisteront dans cette voie -, deviendront contractuel.le.s de l’Éducation nationale : précarité, bas salaires, est-ce cela que l’on souhaite à des personnes ayant bac + 5 ?
Souffrance des enseignant.e.s chargé.e.s de la formation des futur.e.s professeur.e.s
Le métier de ces maître.sse.s de conférence et des enseignant.e.s du secondaire détaché.e.s à l’Université perd son sens.
Des responsables de Masters s’interrogent : est-il raisonnable de cautionner une telle réforme ? Certain.e.s envisagent de démissionner.
Des conséquences dramatiques
- L’attractivité du métier, déjà mise à mal, va s’effondrer : cette réforme insensée ne peut que décourager les vocations..
- La réforme de la formation initiale est perverse : elle prétend former des enseignant.e.s titulaires, mais va mécaniquement produire des contractuel.le.s sous-payé.e.s.
- Les compétences des futur.e.s enseignant.e.s vont être insuffisantes, ce qui affectera la qualité de leur enseignement, générera de la souffrance chez les plus impliqué.e.s, et augmentera probablement le nombre de démissions des entrant.e.s dans le métier.
La qualité de la formation initiale des enseignant.e.s a un impact direct sur la qualité de l’enseignement public.
Si celui-ci souffre de cette réforme – comment pourrait-il en être autrement? -, le risque est fort que les familles qui le peuvent scolarisent leurs enfants dans l’enseignement privé, déclenchant un cercle vicieux qui conduira l’enseignement public à ne scolariser que les élèves les plus pauvres, et à aggraver l’inégalité sociale face à l’enseignement et les difficultés auxquelles les jeunes enseignant.e.s seront confronté.es.