CPE en lycée pro : le refus au quotidien du déterminisme social

Marie-Christine Ampoulange est conseillère principale d'éducation (CPE). Elle exerce depuis vingt ans dans un lycée professionnel de la banlieue de Bordeaux. Présentation de son lycée et entretien avec la collègue.

Une synthèse de cet article a figuré dans le dossier «La méritocratie en question» du numéro d’avril-mai 2019 de Profession Éducation, magazine du Sgen-CFDT. Photo © Jean-Pierre Colonna.

 

CPE, Marie-Christine exerce depuis vCPE en Lycée Professionnel Marie-Christine Ampoulangeingt ans au lycée professionnel Flora Tristan de Camblanes et Meynac (33, Gironde), lycée des métiers des services qui accueille environ 300 élèves inscrit·e·s en CAP et brevet professionnel fleuriste, en bac pro (commerce ; hygiène et stérilisation ; cuisine et services), ou en CAP prioritaire.

Le public accueilli, qui provient du secteur rive droite de l’agglomération bordelaise, est issu de sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) ou d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). Une grande majorité de ces élèves sont issus de milieu défavorisé (40 % d’entre eux·elles sont boursiers). Pour ces lycéen·ne·s, dont le besoin d’un accompagnement de proximité est important, le lycée propose un internat de 120 places permettant d’héberger un tiers de l’effectif scolarisé. Un restaurant d’application (lieu d’étude et occasion d’échanges avec l’ensemble de la communauté éducative) complète la structure.

La collègue en poste depuis deux décennies décrit une équipe investie autour d’un chef d’établissement qui connaît chaque élève et conduit une politique volontariste en faveur de la réussite des élèves. Lecture, écriture et culture sont au cœur de la plupart des projets pédagogiques centrés sur l’acquisition d’une culture commune.

Associées au projet pédagogique et éducatif de l’établissement, Marie-Christine et sa collègue Anne s’investissent dans de nombreuses activités, au nombre desquelles les actions culturelles : sorties au cinéma de Créon, au théâtre du Pin Galant, visites de Bordeaux… Au fil des ans, les deux collègues CPE ont mis en place, avec la communauté scolaire, des actions de cohésion sociale comme les divers moments festifs (fêtes des anniversaires ; de l’internat ; de fin d’année) qui témoignent du désir de chacun·e de donner du sens à la notion du vivre-ensemble.
Capture-d’écran-14-5-2019-site du lycée Flora Tristan (33, Gironde) 

À titre d’exemple, les élèves repéré·e·s en difficulté se voient proposées trois soirées thématiques (problématiques d’ado ; gestion des conflits ; usages numériques), co-animées avec l’assistante de service social (ASS). Les parents sont conviés et ces soirées, qui se prolongent autour d’un dîner au restaurant d’application, ravissent les convives qui apprécient vivement la formule.

Pour compléter ce panel d’actions, les enseignant·e·s de la section fleuriste organisent tous les ans une vente hebdomadaire de fleurs ; un marché de Noël a également été mis en place par les professeur·e·s de commerce, et depuis deux ans les lycéen·ne·s participent au Téléthon avec la commune. Au printemps, des randonnées pédestres sont proposées aux élèves ainsi qu’une sensibilisation au respect de l’environnement via une heure de ramassage des déchets aux abords du lycée.

À l’internat, l’investissement des CPE a permis d’instaurer, outre le suivi des élèves, une activité par soirée. L’équipe des assistant·e·s d’éducation (AED) n’est pas en reste : l’an dernier, deux d’entre eux·elles animaient un atelier Fitness, tandis qu’un autre, ancien pompier, proposait une deuxième activité d’entretien corporel. Autant d’actions qui contribuent à la dynamique d’établissement dont le rayonnement est perçu par les partenaires locaux – le maire de Camblanes et Meynac a d’ailleurs reçu les élèves élu·e·s au conseil d’administration du lycée et au conseil de la vie lycéenne (CVL).

Contre le déterminisme social, l’apprentissage d’une culture commune et du vivre-ensemble demeurent parmi les valeurs fondamentales que notre collègue a choisi de transmettre aux élèves. Cet exemple est une aubaine pour les stagiaires CPE accueillis dans cet établissement.

Entretien avec Marie-Christine Ampoulange

Dans les rapports que les élèves entretiennent avec l’École, as-tu constaté une évolution entre le moment de leur entrée dans l’établissement et celui de leur sortie ?
Oui, globalement j’ai constaté une évolution positive pour la majorité des élèves. À cela, je vois trois paramètres à prendre en compte : la taille de l’établissement (une petite structure de 350 élèves), l’investissement du proviseur et celui des équipes. Cependant, pour 10 % des élèves, nous ne trouvons pas de solution. Ils sont en décrochage, voire pour certains en rejet de l’École.

Pourquoi avoir développé des actions pédagogiques centrées sur la lecture, l’écriture et la culture ?
Parmi les publics accueillis, il y a des élèves scolarisés en CAP dits « prioritaires ». Ces élèves souffrent d’un déficit culturel important, les apprentissages fondamentaux ne sont pas maîtrisés. Il convenait donc de repartir de ces fondamentaux. L’équipe pédagogique s’est ainsi investie dans une politique de discrimination positive en s’efforçant « de donner plus à ceux qui ont moins » dans un établissement non identifié REP. Cet engagement des collègues a permis de redonner confiance aux élèves ayant bénéficié de ces actions. Cependant, la nouvelle réforme du lycée professionnel, avec une baisse du volume horaire de l’enseignement général, risque de remettre en question cette dynamique.

Qu’entends-tu par acquisition d’une culture commune ? Pourquoi avoir choisi de mettre en place des actions de cohésion sociale ?
Il s’agit de leur transmettre un bagage culturel élémentaire dans la mesure où la plupart d’entre eux en sont démunis. À titre d’exemple, la réalisation d’un CV et d’une lettre de motivation constitue, pour chacun d’eux, un véritable défi. Les actions de cohésion sociale permettent de leur apprendre les rudiments de la citoyenneté.

Quel est le degré de mobilité de ces élèves une fois leur diplôme obtenu ?
Il demeure extrêmement faible, la quasi-majorité ont trouvé un emploi dans l’agglomération bordelaise, seul un ou deux vont exercer à Toulouse ou à Paris.

Le lycée assure-t-il le suivi de ces élèves ? Existe-t-il un retour des anciens élèves ?
Oui, par le biais de l’enquête « Insertion Vie active » (IVA). Le retour des anciens élèves dépend des formations suivies, par exemple en cuisine, services, hôtellerie et fleuriste, quelques élèves reviennent témoigner de leur expérience professionnelle. Ces témoignages, depuis quelques années, sont intégrés dans la semaine d’insertion en début d’année scolaire (octobre). De plus, le travail de suivi des Psy-EN permet de disposer d’éléments d’information en matière de suivi des anciens élèves.

Avez-vous constaté parmi les élèves des investissements pérennes dans le domaine associatif, citoyen ?
C’est un indice difficile à mesurer en raison du faible niveau culturel des élèves. Leurs préoccupations demeurent centrées sur les besoins élémentaires. Par exemple, la réunion sur le réchauffement climatique ne les a guère stimulés au-delà de l’incidence alimentaire. En revanche les élèves de l’aérocampus ont davantage pris part au débat.

Quels sont les freins et obstacles  rencontrés lors de la mise en place des réponses apportées ?
Le frein principal a été le sentiment de dénuement que j’ai pu ressentir en tant que CPE ; les obstacles majeurs sont le temps et les moyens mobilisés au regard de l’ampleur de la tâche à accomplir.

Quel bilan personnel dresses-tu de ces deux décennies passées dans cet établissement ?
J’adore mon métier et j’éprouve un fort sentiment d’utilité. J’ai travaillé dans de bonnes conditions, avec une collègue engagée et une direction investie. L’équipe des enseignants est stable, la plupart des collègues sont très investis…

Quels conseils donnerais-tu à un ou une jeune collègue entrant dans le métier ?
Être soi-même, être sincère, à l’écoute, savoir poser un cadre, être bienveillant avec les élèves.