Professeur.e de lettre en lycée : souffrance au travail

Les conditions de travail des professeur.e de lettres en lycée se sont sensiblement dégradées ces dernières années.
L'école de la confiance devient l'école de la souffrance.
Tour d'horizon.

Flash-back : mise en place de la réforme du lycée

Elle a généré un stress intense chez les professeur.e.s de lettres et un surcroît de travail très sensible.

  • Les enseignant.e.s intervenant en Première ont dû reprendre la totalité de leurs cours, avec la mise en place d’un programme d’œuvres souvent difficiles d’accès.
  • Le programme de Seconde s’est très nettement alourdi. Le nombre d’œuvres à lire est considérable pour des élèves qui, de plus en plus, peinent à lire des textes longs. Il leur faut en outre apprendre à maîtriser quatre exercices exigeants, le commentaire littéraire, la dissertation sur œuvre, la contraction de texte, l’essai. Nous devons aussi imaginer des dispositifs pour qu’ils progressent à l’oral, afin de préparer le grand oral.
  • L’enseignement d’Humanités, littérature, philosophie a nécessité un investissement considérable de notre part. Le programme est énorme, les deux heures de littérature sont insuffisantes : il faut constamment faire des choix, les dilemmes pédagogiques sont quotidiens.
    Là aussi, la frustration est permanente.

Dès la rentrée, l’œil rivé sur le calendrier, nous pressons constamment nos élèves.
Les moments heureux se raréfient.

Nos classes sont surchargées et la baisse des horaires, conséquence de la baisse des moyens attribués au second degré, fait que nous avons davantage d’élèves, et donc davantage de copies.
En outre, la multiplication des PAP implique des aménagements complexes et chronophages.

Puis le Covid 19 est arrivé

Le premier confinement a été très éprouvant pour les élèves comme pour les enseignant.e.s.
L’année 2021-2022 nous a usé.e.s.
Après avoir affronté la situation d’enseignement hybride, nous avons inauguré les nouvelles épreuves des EAF, et, pour certain.e.s d’entre nous, été convoqué.e.s à des commissions ou à des oraux de rattrapage.

En septembre, nous avons retrouvé nos classes avec plaisir… mais la plupart de nos élèves sont abîmé.e.s par la pandémie : leurs difficultés à l’écrit sont considérables, beaucoup ont du mal à s’organiser, à se concentrer, à se plier aux rythmes collectifs. Plus que jamais, nous avons affaire à des classes « cocotte-minute », selon l’expression employée par Philippe Meirieu.
Certain.e.s sont fragilisé.e.s sur le plan psychologique.
Les élèves les plus défavorisé.es ont particulièrement pâti des confinements successifs.

À la rentrée 2021, les professeur.e.s et leurs élèves auraient eu besoin de temps et de sérénité pour se remettre de cette épreuve, pour recréer du collectif, pour se réparer.

Et maintenant, les préconisations liées à la conception du projet d’évaluation dans le cadre du contrôle continu!

Déconnectées, par certains aspects, de la réalité des classes, ces préconisations nous placent dans une situation de travail empêché.

À mon sens, on peut parler de souffrance au travail lorsque l’activité est empêchée. L’activité empêchée, c’est le salarié qui, à la fin de la journée, se dit « aujourd’hui encore, j’ai fait un travail ni fait, ni à faire ». C’est la mauvaise fatigue qui provient de tout ce que l’on n’arrive pas à faire. C’est ce travail qui vous poursuit, vous empêche de dormir. L’activité empêchée, c’est ne pas pouvoir se reconnaître dans ce que l’on fait.
Entretiens avec Yves Clot et Christophe Dejours
Changerletravail.fr/plaisir-et-souffrance-au-travail

On nous demande par exemple désormais de travailler sur des exercices de type bac complets dès le deuxième trimestre de Seconde – dissertation, commentaire, contraction de texte & essai: des exercices correspondant à une épreuve de 4 heures -… alors que beaucoup d’élèves peinent à rédiger un paragraphe argumentatif cohérent.
La plupart des enseignant.e.s ne voient les élèves que sur des créneaux d’une heure, ce qui est insuffisant pour faire un commentaire ou une dissertation – de toute manière, cela occasionne un dilemme: faut-il évaluer les élèves, ou avancer dans le programme?
Les phénomènes de triche se généralisant, il n’est pas envisageable de donner des exercices complets à faire à la maison.

L’appui de l’inspection est (…) parasité par les objectifs propres de la hiérarchie qui veut faire accepter telle ou telle nouvelle instruction.
« Le métier d’enseignant au cœur d’une ambition émancipatrice »,
Rapport d’information par la mission d’information sur le métier d’enseignant,
19 juin 2012

Récapitulons…

  • Nos conditions de travail se dégradent nettement.
  • Notre charge de travail ne cesse d’augmenter.
  • La multiplication et l’accélération des adaptations et des injonctions nous épuise.
  • Le métier perd son sens.
  • Nous travaillons constamment dans l’urgence.
  • Nous subissons une situation de travail empêché.
  • La « souffrance ordinaire » (Françoise Lantheaume, Université Lyon II) que nous endurons est toxique.
  • Tout cela gâche la joie d’exercer notre métier et nous fait collectivement courir des risques psycho-sociaux.

Exit, voice loyalty… apathie : et maintenant, que faire?

En 1970, Albert Hirschman observe dans un ouvrage intitulé Exit, voice loyalty, que face aux défaillances des institutions, trois choix s’offrent à l’individu: chercher une porte de sortie, protester, interpeller l’institution, ou accepter la situation. Guy Bajoit en ajoute en 1988 un quatrième: l’apathie.

Avant tout, prenons conscience du fait que les difficultés professionnelles que nous rencontrons ne relèvent pas de fragilités personnelles, que leurs causes ne sont pas individuelles, mais la conséquence de choix ministériels.

Ne restons pas seul.e.s.

Et alertons nos IA-IPR.