Épreuve Anticipée de Français (EAF) : de nouvelles modalités trop lourdes et mal ciblées

Une injonction paradoxale entre respect d’un cadre très contraint et travail sur le « jugement personnel de l’élève » - Un oral à la fois cadré et très flou sur les niveaux d’attendus - Une épreuve écrite de 4h très académique.

réforme du baccalauréat : épreuve anticipée de français (EAF)Classiques et presque ouvertement élitistes, les nouvelles modalités du bac de français révèlent un manque de préoccupation pour les « vrais » élèves, et semblent surtout répondre à une vision nostalgique et passéiste d’une culture littéraire étroite et imposée à tous. Elles laissent peu de marge d’adaptation par les professeurs au niveau et spécificités des élèves ou encore aux projets culturels et artistiques des établissements.

Une injonction paradoxale entre respect d’un cadre très contraint et travail sur le « jugement personnel de l’élève »

Le nombre important de textes à étudier (24 pour la voie générale, 16 pour la voie technologique) pour une année de 32 semaines effectives (sans neige, sans sortie scolaire et sans congé maladie…)  imposera un rythme intense pour ne pas dire effréné. Cette cadence est particulièrement malvenue et absurde, notamment face à la demande d’une analyse plus personnelle des textes par les élèves.

La liste d’œuvres, très classiques, et donc d’un accès difficile pour l’immense majorité des élèves, rendra quasi obligatoire une pratique pédagogique très descendante et magistrale. Or le jugement personnel ne peut se bâtir que par une appropriation personnelle, avec des temps différents en fonction des élèves. Cette contradiction (entre ce qui est demandé et les possibilités matérielles de le réaliser), qui existe partout dans cette réforme, est criante pour ce qui est de l’épreuve anticipée de français.

La cadence imposée est totalement contradictoire avec les parcours proposés en complément, les lectures cursives demandées aux élèves (soit 4 œuvres étudiées et 4 œuvres lues en cursive au total) et les différentes activités culturelles préconisées par le programme. L’ouverture culturelle et les échanges avec le professeur documentaliste sont donc des promesses intenables.

Le carnet de lecture/portfolio n’est finalement pas retenu, remplacé par un « commentaire individuel » sur le descriptif des œuvres étudiées par l’élève au cours de l’année. Quand et comment se construit ce commentaire ? Quelle part d’approche individuelle pourra vraiment être valorisée ?

Un oral à la fois cadré et très flou sur les niveaux d’attendus

L’épreuve orale est très cadrée dans ses durées et la constitution de la note : 12+8 minutes, 2+8+2+8 points… Comment évaluer « sur 2 points » la lecture ? Cela entraînera certainement des exigences très variables selon les correcteurs, et donc des niveaux de stress élevés chez des élèves déjà inquiets. Cela vaut tout autant pour la question de grammaire, assez floue, et même inutile (ou doublement notée…) puisque la grammaire doit être convoquée par l’élève pour argumenter son commentaire de texte !

Une partie de l’entretien porte sur une approche personnelle des textes par les élèves, ce qui est assez complexe à mettre en œuvre dans un cadre d’évaluation par ailleurs très formaté, et avec le risque de pratiques pédagogiques descendantes et magistrales évoqué plus haut : quelle évaluation porte-t-on sur les appréciations personnelles d’un élève de 15 à 17 ans ? Aura-t-on des exigences différentes selon son parcours précédent et les appuis qu’il peut trouver en dehors de la classe (bagage culturel familial, « petits cours »…) ? Cela sera-t-il dans les faits une « récitation » d’une analyse prédigérée faute de temps ?

La réponse semble hélas aller de soi : cet aspect de l’épreuve orale conduira à évaluer des savoirs et des savoir-être acquis ailleurs que dans le cadre de l’enseignement du français au lycée,  amplifiant l’inégalité des chances et favorisant le bachotage.

Une épreuve écrite de 4h très académique

Certains intitulés renvoient à des exercices canoniques des études littéraires universitaires, voire à des intitulés d’épreuves de concours (comme la question de grammaire de l’explication de textes de l’agrégation de lettres !) sans que l’on sache précisément quels sont les attendus : c’est le cas notamment de l’ « essai » qui accompagne la contraction de texte dans la voie technologique : est-ce une « discussion » comme c’était le cas dans les années 1990 ? Y a-t-il des conventions sous-jacentes ? La dissertation quant à elle semble toujours inaccessible pour une majorité d’élèves compte tenu des exigences qui l’accompagnent.

Exception faite de l’épreuve de contraction-essai, la nouvelle architecture de l’épreuve écrite, avec une seule modalité (à choisir) et non plus 2 dont l’une (le corpus) obligatoire, la transforme largement : elle passe de 2h30/3h à 4h : cela suppose-t-il une modification des exigences – et des modalités d’entrainement –pour ces exercices écrits ?

Imposer cette nouvelle épreuve à des élèves qui n’ont pas suivi le nouveau programme de 2nde et à des enseignants qui devront les y préparer, avec des consignes dévoilées seulement en avril, est particulièrement stressant et inconfortable pour ne pas dire insupportable. Le ministère met tout le monde en difficulté et montre une fois encore le peu de considération qu’il porte aux aspects pragmatiques de mise en œuvre de « sa » réforme.