Continuité pédagogique au lycée : au début, « une cerise amère sur un gros gâteau indigeste »…

Le Sgen-CFDT continue le tour des professions qui vivent chacune le confinement de manière différente. Aujourd'hui, Isabelle Bernard, professeur d'allemand en lycée à Laon dans l'Aisne. Pas facile pour une prof de langue vivante de travailler à distance, le Sgen-CFDT a voulu en savoir plus.

Confinement : Comment s'organisent le travail et la continuité pédagogique quand on est professeure d'allemand en lycée ? Témoignage : Isabelle Bernard est professeur d’allemand au Lycée Paul Claudel de Laon. Ce lycée Général et Technologique situé à Laon compte environ 1400 élèves, BTS compris dont environ 200 internes et 120 professeurs. Le recrutement des lycéens est avant tout rural et certains jeunes font deux heures de trajet en bus quotidien pour venir au lycée.

Si l’établissement compte deux professeurs d’allemand Isabelle a pour sa part des lycéens de tous les niveaux répartis sur 8 groupes pouvant compter entre 10 et 31 élèves. Des niveaux différents, des filières différentes, des tailles de classes différentes, des lycéens parfois avec une connexion internet aléatoire,  tout cela ne doit pas faciliter la mise en œuvre de la continuité pédagogique en langue vivante. Le Sgen-CFDT a souhaité en savoir plus.

 

Comment travailles-tu en langue vivante ? Quels outils utilises-tu pour faire cours à tes élèves ?

J’utilise essentiellement les outils auxquels les élèves sont habitués depuis le début de l’année : Pronote et l’ENT NEO. Comme il y a eu pas mal de bugs avec ces applications les premières semaines, j’utilise aussi Google Drive. En fait, à chaque fois que je dépose un document dans le cahier de texte Pronote, je le dépose aussi dans un dossier partagé sur NEO et sur Google Drive. L’élève peut alors choisir le canal qui est le plus pratique pour lui.

Pour chaque groupe d’élèves, je propose une fiche de travail chaque semaine, et j’envoie un message Pronote aux élèves et aux parents pour les informer que le cours est en ligne. J’ai opté pour un système de cours avec des activités à rendre et d’autres à faire dans le cahier. Les élèves ont une semaine pour me rendre les activités qui doivent être rendues, et ils trouvent la correction collective de toutes les activités au début du cours suivant.

Multiplier les canaux pour maintenir le lien avec un maximum d’élèves…

Pour me rendre les devoirs, les élèves peuvent aussi utiliser plusieurs canaux : Pronote ou l’ENT, mais je leur ai aussi donné une adresse e-mail et un numéro de téléphone portable que j’utilise d’habitude pour les voyages scolaires. Tous les élèves ne sont pas équipés d’ordinateurs ; certains n’ont que leur téléphone portable et m’envoient simplement une photo de leur cahier. La multiplicité des canaux n’est pas facile à gérer, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’un maximum d’élèves puissent me rendre leurs devoirs.

Au début, j’avais surtout à cœur de finir les séquences que j’avais commencées. J’ai donc adapté des documents que j’avais préparés pour un travail en classe. Mais c’était très chronophage et ça nécessitait souvent l’ajout de nombreuses explications en français. Maintenant, je procède différemment : je fais chaque semaine une fiche indépendante des autres avec un thème spécifique, et j’ai simplifié les consignes, notamment en proposant des activités interactives glanées sur internet ou crées avec des sites comme Learningapps.

 

Et en termes de quantité de travail ?

Je donne aussi moins de devoirs à rendre qu’au début. Les premiers temps, je voulais surtout être sûre que les élèves se mettent au travail ; leur demander de rendre des devoirs était pour moi un moyen de vérifier qu’ils étaient scolairement actifs. Mais corriger des devoirs rendus toutes les semaines est intenable à long terme quand on a 150 élèves.

J’ai également revu la quantité de travail demandé à la baisse :

je pense que nous sommes beaucoup de profs à avoir voulu « trop bien faire »

et de nombreux élèves se sont rapidement retrouvés avec des tonnes de devoirs, beaucoup trop par rapport à ce qu’ils sont capables de faire seuls à la maison. Il m’a fallu faire le deuil de certains objectifs et établir des priorités ; l’école à la maison ne peut en effet pas remplacer complètement les cours au lycée.

 

L’allemand est une langue vivante, l’enseignement doit donc se faire beaucoup à l’oral, n’est-ce pas ? Y-arrives-tu en ce moment ?

C’est vrai, même au lycée, une partie importante du cours d’allemand se fait oralement. Et à distance, c’est forcément plus compliqué d’entraîner les élèves à l’oral. Ce qui me manque le plus, c’est la partie interaction avec les élèves : ayant une mauvaise connexion Internet, je n’ai pas réussi à mettre en place des séances de classe virtuelle. Alors j’ai fait autrement pour que mes élèves ne travaillent pas que l’écrit : dans mes fiches de travail, je mets des liens qui renvoient vers des documents de compréhension orale. Pour l’expression, je peux demander aux élèves de s’enregistrer et de m’envoyer leur enregistrement. Cela peut être par exemple une description d’image en lien avec la séquence en cours.

 

Tu enseignes à la fois en voie générale et en voie technologique, quelles sont les différentes approches que tu peux réaliser pour les  apprentissages ? 

En fait, ça dépend plus du groupe d’élèves que de la filière ou même de l’âge ; certains élèves sont très autonomes, d’autres ont besoin qu’on les guide vraiment pas à pas. Pour établir le degré de guidage que j’insère dans mes fiches de travail,

je m’imagine en classe avec tel ou tel groupe, et j’essaie d’anticiper les questions que les élèves pourraient poser, ou les difficultés qu’ils pourraient rencontrer.

Quant aux programmes et aux attendus, ce sont les mêmes en voie générale et en voie technologique.

 

Cette année était une année un peu spéciale puisque tu devais enseigner à la fois à des élèves qui étaient dans le bac ancienne formule et des premières nouvelle formule. Comment arriver à mener de front ces deux bac ?

Je dois dire que cette année scolaire a été très compliquée au lycée. Comme beaucoup de mes collègues enseignant en classe de première, j’ai d’abord travaillé dans l’incertitude en attendant des précisions sur le nouveau bac, puis dans l’urgence des délais d’E3C, et j’ai souvent eu l’impression de faire du bachotage en première comme en terminale. Trop de méthodologie à ingurgiter pour les élèves, trop d’évaluations à corriger pour le prof… Et le 3ème trimestre s’annonçait très chargé avec à la fois les E3C des premières en mai et les multiples épreuves des terminales (compréhension orale fin mars, expression orale en mai, écrits en juin.)

 

Qu’est ce que le confinement a changé pour toi ?

Le confinement, ça a d’abord été pour moi une cerise amère sur un gros gâteau indigeste : une période d’incertitude de plus dans cette année déjà folle, il ne manquait plus que ça !

Les 2 premières semaines de travail à distance ont effectivement été compliquées ; il a fallu s’adapter au travail en ligne, tout en gardant comme objectif les épreuves des premières et des terminales, il a aussi fallu gérer la période des conseils de classe, respecter les délais de Parcoursup, corriger les copies de bac blanc, les scanner et les renvoyer aux élèves…

Mais maintenant qu’il n’y a plus ni E3C, ni épreuves de bac en vue, on peut recommencer à faire cours presque normalement, avec des objectifs qu’on définit nous-même, sans pression, et j’ai même retrouvé le plaisir de préparer des cours.

Avec du recul, je me dis que le confinement nous aura finalement épargné une fin d’année intenable !

 

Quels liens as tu avec tes collègues des autres disciplines ? Avec les professeurs principaux des classes où tu dispenses un enseignement ? Avec la direction de ton établissement ?

Au tout début, j’ai surtout passé pas mal de temps au téléphone avec les collègues dont je suis proche. On se posait beaucoup de questions, et on avait besoin de partager nos angoisses et nos interrogations – pédagogiques ou pas d’ailleurs.

Confinement : Comment s'organisent le travail et la continuité pédagogique quand on est professeure d'allemand en lycée ?
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S’agissant de l’allemand en particulier, nous sommes en contacts réguliers ; il faut dire que nous ne sommes que trois, nous pouvons donc assez facilement travailler ensemble.

Pour le suivi des élèves, les choses se sont organisées via Pronote : la plupart des professeurs principaux ont lancé des fils de discussion pour recueillir des remarques sur les élèves de leur classe et travailler ensuite en collaboration avec la vie scolaire qui contacte les familles si besoin. De ce côté-là, pas de grand changement pour nous : compte-tenu de la taille de l’établissement, nous devons souvent contacter nos collègues via Pronote car il y a certains collègues qu’on ne croise jamais.

C’est la direction de l’établissement qui nous a suggéré d’utiliser Pronote et l’ENT pour la mise en place des cours et du suivi des élèves. Le proviseur a organisé des conseils de classe en audioconférence, ça a assez bien fonctionné, et entendre la voix des collègues nous a donné l’impression d’un petit moment de normalité.

 

Comment réagissent les élèves à ce que tu leur proposes ? Arrives-tu à garder un lien avec tout tes élèves de toutes les filières ? Si non, comment peut-on faire pour essayer de garder un lien ?

Certains élèves m’envoient un message quand ils n’ont pas compris une consigne, mais c’est assez rare. Concernant les retours que je reçois, ça dépend des groupes. J’ai 8 groupes d’élèves ; pour 4 d’entre eux, les retours sont bons, presque tous les élèves m’ont rendu au moins un devoir.

Ensuite, il y a mes 3 groupes de terminales : pour eux, peu d’enjeu depuis l’annulation des épreuves de bac, mais une bonne moitié me rend tout de même des devoirs

Et puis il y a un groupe qui m’inquiète car j’ai peu de retours, mais je ne suis pas vraiment étonnée : c’est un groupe avec des élèves qui sont déjà absentéistes d’habitude, et ceux qui sont présents sont déjà assez peu enclins au travail en classe, alors seuls à la maison, je me doute bien qu’ils ne doivent se précipiter sur Pronote tous les matins pour voir quel travail on leur a envoyé ! Professeurs principaux et vie scolaire suivent ces élèves de près, mais ce n’est pas évident de les raccrocher, surtout concernant une matière qu’ils considèrent comme subsidiaire.

 

Qu’attends-tu de ton syndicat pendant cette période ?

De l’écoute, de la vigilance et des propositions constructives. Je crois que pendant cette période inédite et pas toujours évidente, il est très important qu’un syndicat soit attentif aux interrogations et aux angoisses des personnels. Il faut aussi veiller à ce que les bouleversements occasionnés par cette crise n’occasionne pas d’abus ou de négligences envers les personnels.

Je pense aussi que mon syndicat doit savoir prendre du recul par rapport aux émotions que suscitent les multiples annonces qu’on entend jour après jour dans les médias.

Je pense qu’au niveau national, les militants du Sgen-CFDT sont à même d’étudier toutes ces questions sans jugement à l’emporte-pièce et de prendre position à la lumière des informations dont ils disposent ; pour moi, le Sgen-CFDT doit rester une force de proposition, même en temps de crise, et même si tout le monde navigue à vue dans ce contexte.