Soutien scolaire privé : un scandale

Le soutien scolaire privé en France : désengagement de l'État et aggravation des inégalités scolaires.
Et tout cela, "Quoi qu'il en coûte" aux contribuables...

Quand le privé fait fortune sur le dos des familles

Le mois dernier, Le Monde consacrait un article au titre éloquent au soutien scolaire : « Les cours particuliers, un business en plein essor qui sert aussi à doper ses résultats sur Parcoursup ».

Le marché du soutien scolaire est estimé, dans l’Hexagone, à 2 milliards d’euros.

Ce marché est florissant depuis des années, comme l’indique un article d’Alternatives économiques datant de 2016, « La France, championne du soutien scolaire« .

Alternatives Économiques alerte sur ce problème depuis des années.
Et la situation empire.
L’article du Monde déjà cité indique qu’ « Acadomia, l’un des leaders du marché, constate une hausse de 19 % de son chiffre d’affaires depuis 2018 » et que « la plate-forme Superprof a observé près d’un tiers de demandes supplémentaires en ce mois d’août par rapport à août 2022. ».

À titre d’exemple, voici la carte qu’on obtient en tapant « Nice soutien scolaire » dans un moteur de recherche – ces entreprises sont nombreuses, et situées dans le centre, loin des quartiers populaires, à proximité des établissements scolaires les plus favorisés.

À Nice, si on en a les moyens, le choix entre les différents coachs scolaires est également vaste – notons que comme sur la carte précédente, tout est localisé dans le centre-ville ou à proximité du quartier de Cimiez, particulièrement favorisé.

Un business qui creuse encore les inégalités scolaires

On le sait, c’est encore confirmé cette année par le dernier rapport de l’observatoire des inégalités, notre école est archinulle pour lutter contre les inégalités scolaires.

Cette situation vient d’être confirmée par le rapport de France stratégie publié le 3 octobre 2023, qui constate que la « progression de la mobilité sociale sest interrompue depuis le début de la décennie 2000, marquée par un léger recul de la mobilité intergénérationnelle ascendante et par une légère progression de la mobilité descendante pour lensemble des jeunes. ».
Une progression de la mobilité descendante ??
En clair, de nombreux jeunes sont donc une situation sociale inférieure à celle de leurs parents.
Ce rapport propose plusieurs pistes pour inverser cette tendance: « il s’agit en premier lieu d’examiner les politiques visant à améliorer les parcours éducatifs des jeunes d’origine modeste ou à réduire les inégalités de parcours éducatifs dont on sait qu’ils sont fortement marqués par l’origine sociale ». France Stratégie est « une institution autonome placée auprès de la Première ministre »…

Or, les entreprises vendant du soutien scolaire contribuent à aggraver la situation, puisque le recours au soutien scolaire est socialement marqué.
En effet, Le Monde, toujours, cite une autre étude de France Stratégie (2013) : « 13 % des enfants de cadres, de commerçants ou de personnes exerçant une profession libérale disposaient d’un soutien scolaire, contre 6 % des enfants d’agriculteurs. »

Avec Parcoursup, et surtout, en raison du sous-investissement chronique dans l’enseignement supérieur public (puisque Parcoursup se borne à gérer la pénurie de places dans le supérieur), les bachelières et les bacheliers se trouvent en concurrence pour leurs études supérieures. Cette situation ne peut que profiter aux entreprises de soutien scolaire.
D’ailleurs, pour beaucoup de familles, il ne s’agit pas que leur enfant en difficulté progresse, mais qu’elle ou il soit meilleur.e que les autres.
C’est la raison pour laquelle à Paris, par exemple, des entreprises de soutien scolaire accueillent des jeunes scolarisé.e.s au lycée Henri IV ou au lycée Louis-le-Grand, mais aussi dans les 65 lycées privés sous contrat que compte la capitale (où se trouvent 164 lycées dont 29 lycées professionnels publics), voire à l’École alsacienne.
Ainsi, des familles socialement très favorisées accroissent encore le capital scolaire de leurs enfants.
Tant pis pour les pauvres. Ils n’avaient qu’à traverser la rue.

Un choix politique cynique et révoltant

L’article du Monde cite Anne-Claudine Oller, auteure de l’essai Le Coaching scolaire. Un marché de la réalisation de soi (2020) :
« la chercheuse rappelle que le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale évaluait, en 2006, à 240 millions d’euros annuels l’aide publique au secteur du soutien scolaire. « Et ce chiffre a depuis certainement augmenté. Il s’agit directement d’argent public mis au service du marché privé, mais aussi à destination d’un cadre privé, pour des familles, des individus, et non une offre publique ouverte à tous. » ».

Depuis des année, l’État privatise l’éducation à bas bruit, et c’est absolument révoltant.

Ce qu’il faut, c’est restaurer l’attractivité des métiers de l’enseignement du secondaire, afin que les enseignant.e.s puissent réellement contrer le poids des déterminismes sociaux dans la réussite de leurs élèves
  • en payant décemment les enseignant.e.s,
  • en leur proposant une formation continue de qualité,
  • en titularisant les contractuel.le.s,
  • en donnant aux collègues les moyens nécessaires pour que l’inclusivité puisse réellement être mise en œuvre,
  • en réduisant les tailles des classes – à titre d’exemple, une classe de 1ère STMG à 35 ne peut pas fonctionner.
  • en n’humiliant pas les enseignant.e.s avec des dispositifs comme le Pacte : devoir travailler davantage pour boucler la fin du mois, quand on a un bac plus cinq, c’est indécent.
  • en cessant de les culpabiliser et de les démolir dans l’opinion publique.
C’est aussi allouer à l’enseignement supérieur public, et en particulier à l’université, les moyens qui manquent de plus en plus.

Et ça devient très, très urgent.

Deux milliards d’euros…
On pourrait en faire, des choses, dans l’Éducation nationale et dans le supérieur, si la volonté de réduire les inégalités scolaires était autre chose qu’une posture.