Le devoir de réserve est souvent utilisé à contre emploi mais de quoi s'agit-il exactement et comment, en général, les devoirs des fonctionnaires s'articulent-ils avec les libertés académiques dans le contexte de l'enseignement supérieur et la recherche ?
Le devoir de réserve, de quoi parle-t-on ?
La loi française encadre les droits et les devoirs des agent.es de la fonction publique.
Parmi ces derniers figurent : le devoir d’obéissance hiérarchique, de neutralité, de discrétion, d’information, le respect du secret professionnel, etc. Mais un droit fondamental est la reconnaissance du fonctionnaire à être avant tout un citoyen et donc de bénéficier de la liberté d’opinion dans l’exercice de ses fonctions. Dans ce contexte comment peut s’articuler la liberté d’opinion avec la notion de » devoir de réserve » ? Ce devoir, souvent évoqué, est absent de la loi puisque c’est essentiellement une notion jurisprudentielle, appréciée de façon variable selon les fonctions des agents publics et le contexte.
Le fonctionnaire doit discerner ce qui relève de l’obéissance, de la loyauté envers son institution et de la liberté d’expression dans une démocratie.
Le devoir de réserve doit être vu comme la modération de la parole en public des agent.es et cela en dehors de leurs activités professionnelles. Déroger à ce principe (flou) peut exposer les fonctionnaires ou les contractuel.les de la fonction publique à des sanctions disciplinaires. Celles-ci sont encadrées réglementairement et il est mis à disposition des agent.es des mesures permettant d’assurer leur défense face à l’administration.
Mais par conséquent et sous forme de paradoxe, tout propos qui n’est pas sanctionné disciplinairement est donc autorisé.
Dans la fonction publique, la liberté d’expression est la règle, le devoir de réserve, une exception à cette règle.
Ce principe démocratique est d’utilité publique pour les citoyennes et les citoyens faisant appel aux services de l’État pour leurs besoins et obligations. Elle doit cependant respecter certaines contraintes prévues par la loi comme l’atteinte à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. Elle doit également être en accord avec la protection de la santé ou de la morale, de la réputation ou des droits d’autrui.
Et dans l’Enseignement supérieur et la recherche ?
Dans le cadre de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), le Conseil constitutionnel énonce que la liberté d’expression et l’indépendance doivent être garantis pour les fonctions d’enseignement et de recherche. Ce principe d’exception est reconnu par la loi française. Pour les personnels de l’ESR les libertés académiques renvoient au choix libre de leurs activités de recherche, de leurs méthodes, de leurs choix de publication, mais aussi des contenus de leur enseignement et des modalités pédagogiques et d’examen.
Par leur statut, les ITRF/ITA sont des personnels de soutien à l’enseignement et à la recherche et de ce fait ne bénéficient pas des libertés académiques. Ils ont un rôle plus technique ou administratif que purement académique. Cependant, certains ITRF/ITA peuvent être fortement impliqués dans des activités de recherche et peuvent être auteurs ou co-auteurs de publications scientifiques. Dans ces cas-là, ils participent à la production scientifique, mais leur liberté dans le choix des thématiques de recherche reste généralement plus limitée que celle des enseignants-chercheurs et chercheurs, qui ont une autonomie plus large.
Est-ce à dire que la parole publique de ces fonctionnaires peut, sans crainte, être discordante envers les politiques d’État dans les domaines pédagogiques et de la recherche sans que la hiérarchie n’appelle au devoir de réserve, d’obéissance et de loyauté ? L’ambiguïté de la détermination du devoir de réserve se pose de manière particulière pour les enseignant.es chercheur.es et chercheur.es du fait que la nature de leur mission ne peut s’accompagner que d’un principe de liberté d’expression et d’indépendance, garantie par la loi et d’autre part, car ils et elles bénéficient d’une autorité pédagogique et scientifique qui les tient à une certaine mesure dans et hors les murs de leur établissement. C’est pour cela que toute restriction à la liberté académique nécessite une base légale solide et ne peut en aucun cas être préventive.
La parole critique publique portant sur les difficultés organisationnelles des services de l’État ou sur leur dysfonctionnement peut être atteinte par l’évocation du droit de réserve. En effet, il est pensé parfois plus simple de faire taire les voix discordantes que d’instaurer le débat.
Il est alors important de dire que l’appui des collectifs et le rôle des organisations syndicales sont des facilitateurs de la liberté expression tant que celle-ci est respectueuse des individus et ne contient pas de propos diffamatoires ou injurieux.
Les principaux remparts à la privation de la parole restent les collègues, la hiérarchie de proximité et le soutien des organisations syndicales.
Dans le contexte sociétal et politique actuel, il est nécessaire de défendre les libertés individuelles et collectives face à la tentation du contrôle attaquant l’État de droit. Les libertés académiques ne sont pas une option, ce sont des piliers de notre système de formation et de recherche. La CFDT Éducation, Formation Recherche Publique s’érige comme un défenseur de la libre expression.
Emmanuelle Savignac et Thierry Fratti