La scolarisation des enfants adoptés : entretien avec le docteur Gwënola Rideau
Gwënola Rideau est pédiatre en PMI, mère de trois enfants dont deux adoptés ; elle est membre de l’association EFA (Enfance et familles d’adoption) dans les Hautes-Alpes.
Sandra Montant : Les enfants adoptés rencontrent-ils des difficultés spécifiques durant leur scolarité ?
Gwënola Rideau : Oui, mais pas nécessairement celles auxquelles on s’attend. Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’apprentissage du français est peu problématique pour les enfants adoptés à l’étranger. Il est relativement rapide : l’enfant change de langue maternelle, il est immergé dans le français et se trouve donc dans une situation très différente de celle des primo-arrivants, qui ne parlent et n’entendent le français qu’à l’école.
Certains enfants adoptés ont du mal à entrer dans les apprentissages. On pourrait avoir l’impression qu’ils manquent de curiosité, voire qu’ils n’ont pas envie d’apprendre. Or, apprendre, c’est prendre des risques, se lancer momentanément dans l’inconnu, cela exige de l’assurance, de la confiance en soi, et les enfants particulièrement fragilisés n’y parviennent pas car ils ne se sentent pas en sécurité sur le plan affectif. L’enfant adopté se demande toujours pourquoi il a été abandonné ; certains se croient responsables de cet abandon et en concluent qu’ils ne sont pas aimables, ce qui détruit leur estime de soi. Or, sans celle-ci, l’enfant aura du mal à prendre les risques nécessaires aux apprentissages : il est convaincu qu’il n’y arrivera jamais. La peur de se tromper, la peur du ridicule peuvent aussi les inhiber.
Dans la plupart des orphelinats, les enfants sont encore trop peu stimulés, leur vie est très monotone. Cela peut entraîner des difficultés dans le repérage spatio-temporel : problèmes dans l’apprentissage des temps verbaux ou d’organisation et de planification du travail scolaire. Ce manque de stimulation a aussi des conséquences sur le développement de la curiosité.
On peut aussi repérer des difficultés chez ces enfants à établir des liens de cause à effet car ils n’ont pas eu suffisamment l’occasion d’expérimenter, mais surtout, ils n’ont pas eu de réponse à des demandes essentielles lors de leur petite enfance. L’absence de soins adaptés peut être à l’origine de l’idée selon laquelle l’enfant serait incapable d’agir sur le monde. Elle est également susceptible d’avoir des conséquences sur son comportement : il peut rester sur un mode pulsionnel, avoir ainsi du mal à gérer sa frustration en étant incapable de se projeter dans le temps et de comprendre qu’il obtiendra ce qu’il désire plus tard.
Certaines de ces difficultés ne sont pas spécifiques aux enfants adoptés : elles peuvent se rencontrer chez les enfants dont l’histoire est marquée par les ruptures, les traumatismes : enfants placés sur décision de justice, migrants…
S. Montant : Un suivi spécifique est-il souhaitable ? Certains moments nécessitent-ils une attention particulière ?
G. Rideau : accueil des enfants adoptés nécessiterait une plus grande souplesse de la part de l’Éducation Nationale. L’enfant adopté peut ne pas avoir été scolarisé précédemment, ou l’avoir été dans une autre langue que le français ; une réflexion sur le niveau dans lequel il sera accueilli s’impose. Ainsi, pour un enfant adopté à 8 ans, passer quelques mois en grande section de maternelle pourrait parfois être très profitable : s’il n’a jamais tenu un crayon de sa vie, l’inscrire en CE2 serait trop violent pour lui et contre-productif.
A l’adolescence, à âge égal, ils sont souvent moins mûrs que leurs camarades et les décisions à prendre en matière d’orientation peuvent être compliquées : l’aide du COP pourra leur être bénéfique pour décider avec leur famille de la suite de leurs études.
S. Montant : Comment pourrait-on faciliter la scolarité de ces enfants ? Quels sont les points auxquels l’enseignant devrait être spécialement attentif ?
G. Rideau : Certaines situations, certaines paroles peuvent mettre l’enfant en difficulté. Le fait que l’enfant ait été adopté, son pays d’origine, sa prime enfance relèvent de son intimité et sont des sujets qui ne doivent être abordés que si l’enfant en prend l’initiative.
Valoriser ces enfants, souligner leurs progrès est particulièrement important : cela contribue à renforcer leur estime de soi.
L’enseignant doit être patient : l’enfant adopté a besoin de temps pour combler ses lacunes. De même, il serait intéressant que l’enseignant sache rassurer les parents, souvent particulièrement inquiets au sujet des performances scolaires de leur enfant. Ceux-ci ont attendu longtemps, dans l’incertitude, le moment où on leur confierait enfin leur enfant, et ont parfois également connu les circuits éprouvants de la PMA : tout ceci les a fragilisés. De plus, ces parents, qui appartiennent souvent à des catégories socio-professionnelles privilégiées, ont fréquemment des attentes élevées au sujet de la réussite scolaire de leur enfant, et vivent mal les difficultés qu’il rencontre à l’école, difficultés qu’ils peuvent interpréter comme un signe inquiétant : ils ne seraient pas de bons parents adoptifs. Ces attentes, cette impatience risquent de compliquer les choses pour leur enfant, d’où l’importance des paroles rassurantes de l’enseignant.
S. Montant : Quelques mots pour conclure ?
G. Rideau : Ces enfants peuvent parfois paraître très en retard dans leur développement à leur arrivée, mais au fil du temps, ils sont capables de progresser énormément, grâce à la sécurité affective apportée par leur nouvelle famille et pour autant que les enseignants sachent faire preuve d’une bienveillance particulière à leur égard.
Pour aller plus loin :
- Le dossier scolarité des enfants adoptés de EFA.
- Enquête 2013-2014 sur le devenir des enfants ayant grandi dans une famille adoptive.
- L’adoption: guide à l’intention des enseignants (EFA mars 2008, en cours de mise à jour)
- La scolarité des enfants adoptés (EFA)
- L’enfant adopté en difficulté d’apprentissage, Marie-Josée Lambert, éd. De Boeck