L’hybridation des enseignements : pis-aller ou opportunité ?

Retour sur le webinaire organisé par le Sgen-CFDT, en collaboration avec Newstank le 08 octobre 2020. Plus de 250 personnes connectées, et un débat qui s’est poursuivi au-delà du temps prévu initialement, tant le sujet de « l’hybridation » a passionné les participants.

hybridation des enseignements : pis-aller ou opportunité ?Franc succès pour le webinaire sur l’hybridation des enseignements organisé par le Sgen-CFDT, en collaboration avec Newstank le 08 octobre dernier. Plus de 250 personnes connectées, et un débat qui s’est poursuivi au-delà du temps prévu initialement, tant le sujet de « l’hybridation » a passionné les participants.

Rappelons brièvement que par « hybridation », l’on entend une conception plurielle des modalités d’enseignement en termes de temps, de lieux, d’espaces qui lui sont dédiés. Cette problématique est chère à notre organisation syndicale, qui porte depuis toujours la revendication pour une véritable reconnaissance dans le calcul du service de l’enseignant, de l’engagement que ce travail représente. Nous étions le seul syndicat à l’avoir porté cela eu 2014 lors de négociations avec le ministère sur le sujet.

Autour des participants, ce webinaire a donné la parole à quatre intervenants (qu’ils soient de nouveau remerciés ici) :

  • Edwige Coureau-Falquerho, coordinatrice de l’enquête sur les effets du confinement sur l’activité des professionnels de l’enseignement à l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ) ;
  • Simon Tournerie, enseignant de SVT, formateur académique, secrétaire général adjoint de l’association « Inversons la classe » ;
  • Bertrand Mocquet, chercheur en Sciences de l’Information et de la communication au Laboratoire MICA à l’Université de Bordeaux Montaigne ;
  • Didier Paquelin, professeur titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur la pédagogie de l’Université Laval (Québec).

Les commentaires des participants montrent s’il en était besoin à quel point cette problématique de l’hybridation est, à la fois, un pis-aller et une opportunité.

Une enquête de l’IFÉ présentée par Edwige Coureau-Falquerho, interroge ce point.

Cette enquête a recueilli environ 4300 réponses, dont une grande majorité pour les enseignants du primaire et du secondaire (2800 réponses).

Ainsi et sans réelle surprise, l’on y note que le passage en mode hybride, et même en distanciel total, a constitué un choc extrêmement violent pour les enseignants à qui s’imposait un contexte professionnel nouveau du fait de la COVID 19 : « on a improvisé et bidouillé, et cela a créé beaucoup de frustration, l’impression de travailler beaucoup pour rien ». Les enseignants disent avoir eu plus de difficulté au début du confinement (« on n’était pas à l’aise »), mais ils expliquent qu’au fur et à mesure, ils s’étaient sentis plus à l’aise dans ces nouvelles modalités d’enseignement.

Enseigner à distance en ligne dans le scolaire ou dans le supérieur, « transposer » de façon non préparée, occasionne des « activités amplifiées ». Elles sont liées « au suivi des élèves, à l’adaptation à la diversité, au suivi de la relation avec les familles pour lutter contre le décrochage scolaire car de nombreux jeunes étaient dans des zones blanches et avec l’interdiction de circuler, de se regrouper ; ils ont été de facto expulsés d’un système éducatif pourtant très bienveillant à ce moment-là. ». A l’inverse, en termes d’apprentissage, « on a vu des élèves s’impliquer et progresser à distance, alors que la classe leur pesait ». Les collaborations s’avèrent souvent plus difficiles que d’ordinaire, nous dit également cette enquête.

Mais, et c’est une note positive, ce qui a été une épreuve a aussi été vécu comme « une fierté, celle d’avoir réussi à passer le cap, de s’être dépassé ». Et Edwige Coureau-Falquerho de conclure sur les problématiques importantes soulevées par ces résultats d’enquête, qui sont celles de l’ « auto développement professionnel » et de l’ « identité métier ».

Les conditions pour développer correctement l’hybridation des enseignements

Les conditions pour développer correctement l’hybridation ont été explorées par les intervenants présents a ce webinaire.

La discussion a été de penser le présent, pour qu’ensuite dans le futur cette période propre à l’année 2020 puisse se transformer en opportunité.

Une occasion de faire évoluer les pratiques pédagogiques…

Il faut selon eux saisir l’occasion de faire évoluer les pratiques pédagogiques, et réfléchir en termes de « métacognition ».

S’interroger sur sa pratique compte : « qu’est-ce que j’apprends ? comment je l’apprends ? pourquoi je l’apprends ?, pour sortir du remplissage mécanique de fiches à compléter ». Il faut réinterroger le présentiel, pour dépasser le fait d’avoir l’impression d’en être « réduit à balancer un ersatz de cours sur un ENT ».

Créer une alliance pédagogique plus qu’une simple relation pédagogique…

Une hybridation réussie est une approche qui est fondée sur les principes de l’apprentissage et pas uniquement de l’enseignement. Cela suppose un design qui intègre des temps de socialisation, pendant lesquels il est essentiel « d’expliciter ce qui est habituellement implicite ». Il faut prévoir des boucles d’apprentissage structurées et pas trop longues, l’enjeu étant de créer une alliance pédagogique plus qu’une simple relation pédagogique. Cela signifie que l’élève/étudiant doit pouvoir réussir à identifier ses besoins, arriver à les exprimer, être capable de diagnostiquer ses forces, faiblesses, et savoir remédier à des difficultés. Ce n’est que par cette pédagogie active que peut s’instaurer la confiance nécessaire à l’acquisition de compétences.

Construire à partir de ce qui existe déjà…

Par ailleurs, il apparaît qu’un système d’enseignement ne peut évoluer qu’à partir d’une situation déjà présente, ce que Didier Paquelin appelle le « niveau de maturité ».

Les enseignants comme les élèves/étudiants sont concernés : « on ne peut pas partir de zéro et tout repenser, même avec 80 heures par semaine, on construit à partir de ce qui existe déjà ». Passer d’un cours en amphi à un cours en visio représente sans doute le degré 0 de l’hybridation, mais toute nouvelle construction prend du temps, et les intervenants ont évoqué le « lâcher prise », pour « faire au mieux », sans subir une pression trop forte.

La plus ou moins grande autonomie des élèves, facilitée par les pratiques déjà acquises, est un critère fondamental…

Pour ceux au contraire qui avaient déjà travaillé sur des modalités d’enseignement différentes avant le confinement, « On a eu moins de difficulté à travailler de manière collaborative quand on l’avait fait auparavant en classe avec les élèves qui avaient appris à être un peu plus autonomes », « les habitudes autour de la « pédagogie de projet », l’autonomie des élèves non seulement dans leur organisation mais aussi — surtout — dans les apprentissages, cela a aidé ». Car la plus ou moins grande autonomie des élèves, facilitée par les pratiques déjà acquises, est alors un critère fondamental pour que l’hybridation présentiel / distanciel fonctionne : « certains se sont adaptés très vite, d’autres ont été complètement démunis, en particulier pour organiser leur travail personnel ».

Les statistiques faites par l’université de Laval au Québec montrent par ailleurs que les taux d’abandon pendant les 9 mois sans présentiel ne sont pas plus élevés que d’habitude. Contrairement à ce qu’on peut penser, les jeunes sont habitués au mode distanciel, et la vraie difficulté pour eux, ce n’est pas cela. Mais pour obtenir ces résultats, l’université a recruté des stagiaires étudiants afin de soutenir les enseignants et faciliter ainsi cette transition pédagogique.

Travailler en équipe : une priorité

De même, travailler en équipe s’impose comme une priorité.

Cela a d’ailleurs facilité le vécu de cette période de crise.

Pour Simon Tournerie, l’aspect réseau, collectif de travail, pour ne pas se sentir isolé, l’échange sur ses pratiques, etc., ont été essentiels. Par exemple, cela a permis de réutiliser les exemples pédagogiques proposés par d’autres, et de prendre de la distance par rapport aux difficultés rencontrées, que tous et toutes, peu ou prou, ont vécues. Il ne s’agit pas d’ailleurs seulement de collectifs de travail dans un établissement, mais également de collectifs associatifs (telle que l’association « inversons la classe »).

L’évaluation : un point de questionnement important

La question des évaluations des étudiants/élèves constitue un point de questionnement important.

Il a souvent été évoqué par les participants au webinaire : « comment évaluer à distance quand on ne sait faire que des partiels ? ». Quelquefois, ces examens à distance se sont réduits à des quiz, qui certes permettaient une mise en ligne et une correction rapide, à un moment où le présentiel n’était pas possible, mais qui pose fortement là encore la question du sens des apprentissages : j’enseigne, mais qu’apprennent-ils ? Ce problème se doublait par ailleurs de l’impression de faciliter la « triche », puisque rien n’empêchait les élèves de chercher sur internet (modulo bien sûr le temps limité du quiz). Dans certains pays, à l’inverse, l’accès aux ressources -dont le web- est libre.

S’interroger sur ce nous attendons vraiment des apprentissages… et donc ce qui est à évaluer et comment.

Ce rapport à l’évaluation est central, parce qu’il interroge ce que nous attendons vraiment des apprentissages. Et dans ce qui est à évaluer, et comment, la question des compétences transversales qui se sont montrées si utiles en particulier pendant cette crise n’a pas encore forcément été pensée. D’autre part, la question de l’évaluation des compétences transversales n’a pas encore été vraiment pensée, alors qu’elles ont montré à quel point elles étaient très utiles, pendant cette crise bien sûr, mais largement au-delà également.

hybridation des enseignements : Le rôle de « l’institution »

Un autre thème important évoqué a été celui de « l’institution ».

« l’institution » doit jouer un rôle de facilitatrice… et évoluer pour accompagner ces mutations.

Elle doit jouer un rôle de facilitatrice pour porter ces pratiques. La capacité à hybrider dépend aussi de ce que propose l’institution, il faut un cadre, et du temps qui soit dégagé pour faire des retours d’expériences, pour pouvoir mettre en place des pédagogies autres que frontales. Edwige Coureau-Falquerho évoque la complexité de ces apprentissages par le virtuel qui interrogent l’unité de temps, les liens entre les personnes, et quatre dimensions importantes : « présence/distance, synchrone/ asynchrone, travail guidé/ travail personnel de l’apprenant, diversité des méthodes et de postures ». Cela implique une évolution de la formation initiale et continue des enseignants, qui intègre des modalités variées, et qui repose aussi largement sur un accompagnement.

Ainsi, l’institution doit évoluer pour accompagner ces mutations. « Je pensais que l’institution était cacochyme, en fait, elle est immature », analyse Alexis Torchet, organisateur du webinaire.

Identifier les possibles, plutôt que reporter les situations d’avant… et diminuer tout ce qui est anxiogène.

Didier Paquelin explique que dans les universités, après « le temps de la sidération, celui de la transition, vient celui de la consolidation ». Elles se fixent un cap, et il est important nous dit-il de travailler en mode « marathon » plutôt qu’en mode « sprint », d’éviter l’effet « stop and go » trop déstabilisant pour les personnes. Celles-ci ont besoin d’être aidées afin de pouvoir identifier les possibles, plutôt que de reporter les situations d’avant et de rester bloquées par des contraintes.

Diminuer tout ce qui est anxiogène est important aussi du côté des élèves/étudiants, à qui on doit être en mesure de proposer des essais de ces enseignements hybrides. Didier Paquelin insiste sur la nécessaire « socialisation des publics qui débutent dans leurs études universitaires », ces étudiants devant être invités à s’engager dans leur formation dans une perspective de « bien-être pédagogique, plutôt que de simple poursuite d’études ». La notion d’incertitude, nous dit-il enfin, est présente dans les établissements, et il invite à « apprivoiser l’incertitude plus qu’à chercher à la réduire ».

L’institution doit tout faire pour préserver la continuité pédagogique et aider à donner du sens au changement.

Bertrand Moquet évoque de même la désorganisation actuelle dans les établissements, tout en précisant que le chaos peut parfois générer de la créativité… Selon lui, « le basculement a été très rapide, et même si le travail en ligne existe  depuis longtemps dans les universités, là il est partout, et cela s’est passé très vite ». Or, tout le monde n’a pas été capable de répondre de manière adaptée à cette crise. Mais comme il en va de la continuité pédagogique, alors l’institution (école ou université) doit tout faire pour la préserver et aider à « donner du sens au changement ».

Les outils numériques

Enfin, les outils numériques ont été largement questionnés.

Les ENT ont souvent explosé très vite dans le 2nd degré, il n’y avait rien ou presque dans le 1° degré… Le rôle et la pertinence de ces outils pour concevoir des formations hybrides sont très importants à considérer pour qu’ils répondent aux besoins professionnels des enseignants… et des étudiants/élèves ! Certains enseignants ont d’ailleurs choisi de travailler avec les outils de leurs étudiants, comme « Discord » par exemple, qui est utilisé par les gamers, dans le but de leur faciliter le travail, et parce que l’enjeu c’était de les « accrocher ».

Les postures vont sans doute changer…

Pour reprendre la conclusion de Simon Tournerie, les postures vont sans doute changer, au-delà des temps de confinement, et l’on sera plus attentif à la manière dont on choisit de se positionner par rapport aux élèves, avec un face à face qui va évoluer vers un côte-à-côte, pour construire ce qui est au cœur du métier : une alliance pédagogique.