Le Sgen-CFDT des Pays de Loire a reçu André Therrien, qui est venu présenter l'écoute émotionnelle à l'équipe de militants. Voici un compte-rendu de cette rencontre.
L’émotionnel a des choses à dire…
L’approche expérientielle proposée par A. Therrien invite à considérer deux types d’écoute, l’une rationnelle, l’autre émotionnelle. Elle aide à identifier à quel moment de la relation tel type d’écoute semble le plus adapté, et à apprendre à jongler entre les deux.
« L’écoute émotionnelle, c’est se porter témoin des émotions. L’écoute rationnelle, c’est donner une réponse ».
L’émotionnel a des choses à dire avant que le rationnel ne puisse s’exprimer…
Et si les deux écoutes sont nécessaires, nous sommes, en occident, quasi uniquement formés à l’écoute rationnelle, et aux conseils et stratégies qui en suivent.
Toutes les approches de Communication non violente (CNV), les psychologies comportementalistes, les débats, etc. font référence à l’approche rationnelle.
Cette dernière est utile dans nos métiers d’éducation.
Mais il peut être intéressant de réaliser :
– d’une part qu’elle n’est pas le seul type d’approche
– d’autre part, qu’elle traduit chez chacun (ce n’est pas un jugement, mais un constat), un besoin de maîtrise et de contrôle des situations. Il nous est souvent difficile de ne pas formuler d’attentes en amont d’un entretien, de ne pas ressentir un grand désarroi qui nous atteint parfois personnellement lorsque tel élève n’a pas suivi nos recommandations, de nous voir nous acharner dans la recherche de solutions, pour un enfant qui est coincé dans des émotions contradictoires, etc.
A. Therrien rappelle cependant que ce type d’écoute n’est pas explicitée dans le contrat de départ et les personnels de l’éducation n’y sont pas formés. On la sait pourtant nécessaire à la relation… Nous faisons appel à cette forme d’écoute parfois régulièrement sans forcément en avoir conscience.
Une écoute émotionnelle est un cadeau…
Mais cette écoute mérite une attention particulière, la mise en place de garde-fou, la connaissance de mécanismes, sans quoi, elle peut embarquer les deux protagonistes dans une impasse.
Une méthode présentée en formation
Ce qui est proposé par André Therrien lors de la formation est une méthode. C’est un outil qui ne présuppose pas de la pertinence de son utilisation.
Mais ce qui est proposé, est aussi une invitation à réfléchir sur son propre rapport au monde et à l’autre.
Une invitation à questionner ce qui chaque jour m’encourage à « aider », quitte à parfois aller au-delà de mes limites. Ce qui fait ombre dans mes propres aspirations, ce qui est en « attente » implicite, ce qui est de ma responsabilité dans l’épuisement possible. Également, ce qui m’empêche encore de dire « non ». Ce qui me fait me replier. Ce à quoi me renvoie le silence, la colère de l’autre. Aussi, ce qui se joue pour moi dans ce besoin de maîtrise. Ce qui fait paradoxe. Ce qui fait écho de l’autre en moi.
En conscience de ces questionnements, chacun aura la responsabilité de poursuivre pour lui-même ce chemin de réflexion personnelle sur les fondements de nos systèmes.
Pour outiller cette écoute en tant qu’enseignant, les spécialistes identifient six émotions qui bien sûr peuvent se décliner :
- La Joie : Qui renvoie à tout ce qui est agréable à vivre.
- La Tristesse : Qui fait écho à la perte de quelque chose de significatif dans sa vie, et ce, de façon définitive : une personne, un objet (souvent lié à une personne), une portion de son identité (emploi…).
- La Colère : Qui fait écho à la rupture d’un contrat établi explicitement ou non avec l’autre.
- La Culpabilité : Qui renvoie au non-respect, par soi-même d’un contrat ou d’une partie de ce contrat plus ou moins explicite. (j’aurais dû, je n’aurais pas dû…)
- La Peur : Qui renvoie à des projections dans l’avenir. Elle se nourrit de toutes les possibilités de l’avenir.
- Le Désespoir : Qui désigne une absence d’espoir. Dans ces cas, bien souvent, le rationnel n’a plus de prise.
Vous retrouverez bien des informations sur les émotions dans cette prise de notes sur l’intelligence émotionnelle de Daniel Goleman.
Une écoute émotionnelle est un cadeau
« On ne peut l’exiger de moi. Je ne peux l’offrir sans disponibilité et sincérité ». Cette écoute ne peut se faire que lorsque les deux protagonistes sont prêts. Elle repose sur cette posture de témoin qui doit permettre à l’autre d’exister. L’objectif est de faire alliance, pas de faire secret.
Pour reprendre une image apportée en formation, une personne qui livre ses émotions a besoin d’être sûre que l’autre tient la corde avant de descendre dans le gouffre. Elle va chercher à le vérifier à plusieurs reprises par des questions, des regards.
La personne est dans sa « jungle » des émotions. Il faut rester conscient que ce n’est pas la nôtre et que nous ne sommes pas responsable s’il ne veut pas, ou ne peut pas en sortir.
L’enjeu, si on s’engage dans cette écoute, est de se rendre disponible. C’est l’écho-expérientielle.
La démarche s’appuie sur plusieurs phases…
La première est de se taire…
Ce n’est pas la plus simple… Il ne s’agit pas que de se taire avec les mots, mais se taire dans la tête, le « silence de la pensée »… Ne pas chercher à deviner, à anticiper…
Accueillir et à décoder ensuite les silences
Ceux qui invitent à sécuriser la personne (lorsque la personne nous regarde). Ceux qui traduisent un état réflexif intérieur. (lorsque son regard est baissé ou ailleurs)
Aider l’autre à nommer l’émotion ressentie
Et l’accompagner pour explorer sa jungle, ces émotions, les préciser, en qualité et en intensité. Autant que faire ce peut, ne pas plaquer nos a priori, nos morales, nos hypothèses… Rester dans l’accompagnement d’une exploration qui ne nous appartient pas.
Si notre interlocuteur répond « Oui mais… » cela indique que notre retour en mode rationnel de recherche de solutions n’est pas encore pertinent dans le processus. Cette réponse est une indication que des émotions restent à exprimer. Il reste probablement quelques lianes à dénouer avant de retrouver la plaine du rationnel.
Empathie et bienveillance
Pour entreprendre cette écoute, il convient d’être disponible en énergie, en temps, en agenda, en thématique, en « empathie ». Si cette disponibilité n’est pas possible, ne pas proposer cette écoute, ou proposer de la différer, et ce, sans culpabiliser ! La bienveillance ne s’impose pas !
Nombre d’acteurs de l’éducation pratiquent déjà ce type d’écoute. Ainsi, il ne s’agit pas de révolutionner nos façons de faire. Juste être conscients des mécanismes qui s’y jouent, des conditions favorables à cet accueil. Se donner confiance aussi sur tout ce qui se cache derrière nos analyses rationnelles… Nous avons toujours une bonne raison de ressentir ce que l’on ressent… Apprenons à l’écouter.
Pour aller plus loin…
Un document de 17 pages par André Therrien sur l’écoute minimale active