De l’ordre, de l’ordre, de l’ordre… De la confusion entre autorité et autoritarisme

"De l'ordre, de l'ordre, de l'ordre".
Comme si le fait de répéter une chose trois fois pouvait la faire advenir...
Demandons-nous ici : comment fait-on, concrètement, pour qu'une autorité soit reconnue et acceptée ?

Il y aurait donc une crise d’autorité. Mais alors l’autorité de qui, de quoi, comment ? Demandez-vous par exemple : quelles sont les personnes dont vous acceptez l’autorité ? Pour quelle(s) raison(s) faites-vous volontiers ce que vous dit le médecin, le policier ou votre prof de yoga ?

Dans une excellente séquence radiophonique, Ayyam Sureau résume la situation : la demande d’autorité est en fait une demande de répression et d’autoritarisme. Or, l’autoritarisme, c’est « la démonstration puissante d’une carence d’autorité ».

Pourquoi ?

Parce que si l’on souhaite qu’une autorité s’exerce avec le consentement des personnes sur laquelle elle s’exerce, si l’on veut que les élèves respectent leurs enseignants, que les policiers soient bien accueillis dans le quartier, que les enfants respectent leurs parents… il faut réunir trois conditions : être l’autorité, avoir de l’autorité, faire autorité. Quand on combine les trois, on exerce ce que Bruno Robbes appelle une autorité éducative.

Imaginez donc l’autorité comme un tabouret à trois pieds qui vous donne une assise. S’il manque un pied, il va falloir compenser intelligemment en mettant plus de poids sur les deux autres, mais cela va être fatigant. Si vous ne vous appuyez que sur un pied, cela peut tenir quelque temps, mais, à moins d’avoir bossé au cirque du Soleil, vous allez tomber…

 

Être l’autorité

Il s’agit de l’autorité dont je dispose par mon statut. C’est l’autorité dont dispose tout professeur au tout début de sa première heure de cours. Les élèves sont obligés d’aller à l’école pour faire face à un prof qu’ils doivent respecter. On peut parler d’autorité légale, non négociable. Mais toute personne qui a été un jour élève (ou prof…) sait que cela ne va pas suffire. Il va falloir faire preuve des deux autres formes d’autorité si vous voulez que cela dure plus de 5 minutes…

Autre exemple : si vous conduisez et que quelqu’un vous fait signe de vous arrêter sur le bord de la route, pas sûr que vous vous arrêtiez. Si cette personne est habillée tout en bleu avec un képi et une voiture avec un gyrophare à côté de lui, la probabilité augmente car « elle est l’autorité », elle l’incarne. Ainsi, la directrice, le chef, l’inspectrice, l’AESH, le contrôleur, le supérieur, la dame de cantine, le n+1 et les personnels ouvriers du CROUS pourront bénéficier d’une déférence plus ou moins appuyée selon l’uniforme et le niveau de prestige de leur profession…

 

Avoir de l’autorité

C’est l’autorité qui émane de vous. Et pas seulement la grosse voix : c’est aussi beaucoup de non verbal. C’est le regard que vous allez poser sur tel ou tel élève, c’est votre position dans l’espace, c’est votre déplacement. C’est ce que l’on appelle souvent, à tort, « l’autorité naturelle », ou « le charisme », laissant ainsi entendre qu’on l’a ou on l’a pas, alors qu’il s’agit d’une autorité que vous avez construite et que vous ne cessez de construire au fil du temps. Certes, vous partez peut-être avec plus de « capital charisme » en ressemblant plus à Leonardo di Caprio qu’à Michel Rocard mais il y a aussi toute une part de considération de l’autre qui amène le respect. Avoir de l’autorité, c’est rendre l’autre auteur de lui-même. Un élève va alors accepter votre autorité parce qu’il sent que vous allez lui permettre de grandir, parce que vous savez vous retirer quand il n’a plus besoin de votre aide, parce que vous ne vous montrez pas infaillible ou omniscient, parce que vous laissez de la place au doute.

Là encore, si vous ne vous appuyez que sur cette forme d’autorité, vous risquez le déséquilibre. Ne miser que sur la séduction ou la relation interpersonnelle peut jouer des tours. Nous avons tous connu ce moment où on ne peut pas faire ce que l’on avait prévu en classe (vidéoprojecteur récalcitrant, bourrage papier, aboulie adolescente, grosse soirée la veille…). Avec un peu d’expérience, on peut se raccrocher aux branches en proposant un débat de derrière les fagots ou une activité séduisante, mais on se dit alors qu’on va éviter de reproduire pour ne pas devenir « le prof sympa, mais avec lequel on n’apprend rien ».

Faire autorité

Il nous faudra donc un troisième pied pour être stable : faire autorité. Je fais autorité quand je mets en place des dispositifs et des règles permettant aux élèves d’apprendre et de vivre ensemble. Classe coopérative, ceintures de comportement, heure de vie de classe, règlement de classe, dispositif Sentinelles et/ou Phare, etc. On accepte alors l’autorité parce qu’on est rassuré par un cadre sécurisant et pas seulement par une personne dont on dépend. De la même manière, les élèves respectent quelqu’un qui les met en situation d’apprendre et de produire de nouvelles choses de par sa compétence. Nous avons tous connu cette enseignante à la voix fluette qui n’avait pourtant jamais besoin de hausser le ton parce qu’elle incarnait la bonté (avoir de l’autorité) et parce qu’elle nous faisait découvrir tant de choses (faire autorité).

Le fait que les élèves craignent de moins en moins les adultes représente une chance car en mettant en crise institutionnelle et individuelle les acteurs de l’école, il invite à une conversion profonde, un changement de système de motivation prédominant, où le problème n’est plus de restaurer l’autorité, mais de l’instaurer. Daniel Favre

Pendant une heure de cours, on est comme en équilibre sur ce tabouret. Un peu de poids à gauche, un peu de poids à droite, l’objectif est de rester au centre de gravité.

Les adultes ne sont pas des élèves (encore que… est-ce que nous n’apprenons pas toute notre vie ?) mais si nous considérions la police pas seulement comme « figure de l’autorité » (être l’autorité) en nous demandant comment elle pourrait avoir de l’autorité et faire autorité, il me semble que nous ferions un grand pas vers une autorité qui… autorise.

Pour aller plus loin, le livre de Bruno Robbes et d’un collectif d’enseignantes et d’enseignants.