« Choc des savoirs » : le bateau ivre Éducation Nationale met le cap en arrière

Des résultats PISA décevants, des annonces ministérielles séance tenante qui recyclent de vieilles recettes éculées et des personnels sommés de s'adapter : la séquence en cours a un air de déjà vu.

Début octobre 2023.
Mer de Grenelle. Sur la frégate éduc nat’.
« – Capitaine, je vois de mauvais résultats Pisa à l’horizon !
– Sapristi… changeons de cap ! En route pour l’Excellence, moussaillon ! Nous franchirons le détroit du choc des savoirs.
– Mais… Capitaine… Cela nous fait revenir en arrière ! »

Un air de déjà vu

La scène se reproduit désormais à intervalle régulier. Un nouveau ministre, de nouveaux résultats Pisa décevants, de nouvelles annonces, de nouvelles réformes. À force de changer de cap, l’Éducation Nationale ressemble à un bateau ivre. Une constante cependant : peu importe le cap, le bateau vogue toujours dans la mauvaise direction.

Des territoires à explorer

Il y a pourtant des territoires qu’il conviendrait d’explorer. Les horaires abracadabrantesques ; les classes les plus chargées des pays de l’OCDE ; les rémunérations nettement  inférieures à celles des fonctions équivalentes dans les autres ministères pour des métiers qui n’attirent plus ; l’absence des réflexions et des moyens nécessaires pour mener à bien une réelle politique d’inclusion ; la mixité scolaire portée disparue.
De tout ceci on ne parlera pas. Enfin si, on en causera, parce qu’il faut bien en causer, mais on ne fera rien, ou si peu, juste histoire de dire que c’est bon, on a vu, on a fait.

Un traitement de choc

Le cap est fixé. Direction l’excellence, par la voie de l’exigence. Car c’est bien connu, à l’école française on n’apprend plus grand chose, on baigne dans le laxisme jusqu’à plus soif. Alors le ministre a prescrit un traitement de choc. Comme tous les ministres avant lui, mais en mieux, évidemment.

Qu’importe alors que l’expression « choc des savoirs » soit proprement ridicule.

Qu’importe que l’ensemble de la recherche en éducation pointe le danger et l’inefficacité des groupes de niveaux pour tou.te.s les élèves.

Qu’importe que leur organisation déstabilise une fois de plus les établissements, dégradant les conditions de travail des élèves et des personnels.

Qu’importe que l’inefficacité du redoublement, particulièrement onéreux par ailleurs, ait été maintes fois prouvée.

Qu’importe que les correctifs académiques des examens soient là pour assurer une équité entre élèves.

Qu’importe que l’on s’assoit sur des décennies de recherche en docimologie en estimant que la note du correcteur seul, non retouchée, est par essence la plus juste.

Qu’importe  que les enseignant·es ne fassent plus, depuis belle lurette, cours sur la base d’un manuel unique, surtout à l’heure des révolutions numériques.

Qu’importe enfin que les « fondamentaux » soient déjà plus enseignés ici qu’ailleurs, pour des résultats bien moins satisfaisants : il en faut forcément toujours plus.

Guérir… ou achever ?

Le traitement de choc est là, il sera administré au plus vite.

Au pays de Rabelais, on peine toujours à comprendre que la qualité vaut mieux que la quantité et que rapidité ne rime pas nécessairement avec efficacité.

Les effets de ces mesures pleines de bon sens sur la courbe de popularité du ministre seront sans doute très positifs. Les effets à long terme sur le système scolaire sans doute bien moins, mais peu importe, au moment de faire les comptes, il y aura en place un nouveau ministre qui se chargera de rectifier le cap. C’est ainsi, il en va des remèdes gouvernementaux comme des médecins de l’époque moderne : ils ont plus de chance de vous achever que de vous guérir.  Et on finit par se dire qu’il en va du système scolaire comme des malades de la même époque : il se porterait moins mal sans personne à son chevet.