Arezki Allou, prof contractuel à vie ?

Prof contractuel à l'Éducation nationale depuis 2008, Allou Arezki est militant au Sgen-CFDT de Franche-Comté. Il nous parle de son parcours professionnel et de son travail de défense des collègues contractuels...

Prof contractuel

Quel est ton parcours en tant que prof contractuel ?

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Arezki Allou – DR

J’ai démarré dans l’Éducation nationale en 2008, cela fait maintenant presque 14 ans. Je serai en CDI l’année prochaine car j’ai démissionné au bout de ma sixième année pour aller travailler comme enseignant à Genève – j’ignorais alors qu’il ne fallait pas démissionner ! C’est pour cette raison que les actions syndicales m’intéressent, car les rectorats sont de vrais états-majors : si tu es au courant, c’est bien pour toi mais sinon, personne ne t’informe. J’ai travaillé dans l’académie de Besançon. Actuellement, je suis sur deux établissements (ce qui me convient), en génie civil, réalisation d’ouvrage. J’ai des classes de CAP maçon et de bac pro gros œuvre.

les rectorats sont de vrais états-majors : si tu es au courant, c’est bien pour toi mais sinon, personne ne t’informe.

Tu t’inscris dans une démarche pour devenir titulaire ou tu penses rester contractuel ?

Je fais partie de ceux qui, hélas ou heureusement, resteront toute leur vie contractuels. Tout simplement parce que j’ai refait ma vie. Avec ma compagne, nous avons chacun nos enfants. Le fait de ne plus avoir l’épée de Damoclès que représente l’enchaînement de contrats et les nouvelles affectations, m’enlève un poids. Mais la cédéisation n’est pas titularisation. En commission consultative paritaire, j’ai vu un prof en CDI dans la branche optique être licencié économique parce qu’il n’y avait plus de travail pour lui. Ceci étant, beaucoup de contractuels cédéisés sont contents. En revanche, au niveau de la rémunération, de l’avancement, on n’a pas d’avantages par rapport aux contractuels en CDD…

la cédéisation n’est pas titularisation.

Pourquoi renoncer à être titulaire ?

À cause du mouvement. Les inspecteurs m’incitent à passer le concours, seulement je ne suis pas prêt à quitter Besançon parce que ma vie est faite ici. Aujourd’hui, je ne veux pas me retrouver dans l’académie de Créteil ou de Strasbourg !

La rémunération n’est pas un enjeu pour toi quand on est prof contractuel ?

© Raten-Kauf / Pixabay

Il y a eu une amélioration quand a été mis en place le décret en 2016 où a été pris en compte l’expérience professionnelle. On a pris un peu plus de valeur ajoutée, si j’ose dire… Mais comparé au salaire d’un collègue titulaire qui fait exactement le même travail que moi, il doit y avoir une différence d’au moins 800 euros. Je ne me plains pas. Je suis au 6e échelon, j’ai souvent la fonction de professeur principal, je dois être à 1 800-1 900 euros mensuels. Ma maison est payée, je n’ai pas de besoins particuliers. Alors effectivement, il y a cette différence parce que le principe « travail égal, salaire égal » ne fait pas consensus. 

comparé au salaire d’un collègue titulaire qui fait exactement le même travail que moi, il doit y avoir une différence d’au moins 800 euros.

L’écart va se creuser au fur et à mesure de l’ancienneté, donc l’évolution de carrière n’est pas la même pour un contractuel et un titulaire… Si je comprends bien, la principale difficulté pour toi, quand on est en CDD, c’est le fait de ne pas savoir si on aura un prochain contrat et où on sera nommé ?

On ne devrait pas fonctionner de cette façon parce que, logiquement, on devrait être informé vers la mi-juin, par courrier recommandé, de la décision prise par le rectorat, à savoir s’ils ont des heures à proposer ou pas. Et en tant que contractuel, on peut décliner. Mais, dans toute ma carrière, je n’ai reçu qu’une fois un tel courrier. C’est au bon vouloir des chefs d’établissement qui veulent ou non garder leurs contractuels l’année qui suit. Mais, pour le reste, on n’est au courant de rien. 

Quand le Sgen-CFDT revendique la titularisation sans concours, comment réagis-tu ?

Je trouve cela normal parce que dans les autres fonctions de l’État, les contractuels sont titularisés sans concours. J’ai l’exemple de mes frères qui travaillent l’un à la Direction départementale de l’équipement (DDE), l’autre dans une municipalité. Le concours est un drôle de levier, parce que si je ne l’ai pas, cela veut-il dire que je suis un crétin ? On n’est plus dans les années 70, il faudrait évoluer et titulariser différemment. Qui mieux qu’un chef d’établissement ou un chef de secteur est à même de connaître la valeur d’un enseignant ? La titularisation devrait devenir comme une embauche en CDI.

On n’est plus dans les années 70, il faudrait évoluer et titulariser différemment. (…) La titularisation devrait devenir comme une embauche en CDI.

Tu contactes beaucoup de contractuels du fait de ta fonction à la commission consultative paritaire (CCP). Quels sont les problèmes majeurs dans ton académie concernant la gestion des ressources humaine ?

Toutes les éditions des contrats sont perdues. L’État, c’est « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais », et les collègues contractuels ne comprennent pas que l’État soit aussi mauvais. Les décrets ne sont pas faits pour eux, ils sont faits pour le privé. Ils n’ont pas de reconnaissance. Il y a une discrimination sociale liée à cette différence de statut entre vacataires, contractuels et titulaires.

© Qimono / Pixabay

J’ai souvent résolu des problèmes de salaire : absence de bulletin de paye et/ou de paiement du salaire, contrats mal édités ou pas envoyés en temps et en heure… Il y a aussi les questions de congés (maternité, paternité…). Bref, tous les sujets classiques du travail. Comme les contractuels sont mal informés, voire pas informés du tout, ils ont besoin des militants pour obtenir satisfaction. Sans parler de la grille de salaire ! C’est 18 niveaux, en montant tous les 3 ans, si tu commences à 30 ans, pour atteindre le dernier niveau, tu as 100 ans presque ! (rires)

Sauf si tu commences au 10eProf contractuel

Pour la reconnaissance professionnelle, on ne nous a donné qu’un tiers, alors que dans certaines académies, ils donnent la totalité.

Certains enseignants titulaires estiment qu’être prof contractuel est une situation plutôt enviable : on est relativement bien payé sans passer de concours et on n’est pas soumis au mouvement. Qu’en penses-tu ?

Ils disent n’importe quoi parce que la réalité est claire : un contractuel travaille comme une bête, il travaille tout le temps parce qu’il faut qu’il soit repris l’année suivante. C’est le système de l’intérim… Un contractuel n’est jamais malade, il est toujours là à faire des heures, donc être contractuel, ça ne fait pas rêver. On n’a pas la même qualité de vie. Très honnêtement, le contractuel travaille beaucoup plus.

être contractuel, ça ne fait pas rêver. On n’a pas la même qualité de vie.

Dans les instances de l’établissement (conseils pédagogiques, réunions de fin d’année pour les heures…), les contractuels ont-ils leur place ?

Étant sur deux établissements, je participe aux conseils pédagogiques, je suis élu au conseil d’administration, mais c’est parce que je suis impliqué et que cela m’intéresse. Je pense que tous les chefs d’établissement n’ont pas de parti pris entre titulaires et contractuels dans la mesure où l’engagement est évident…

Et de la part des collègues titulaires ?

Il y a une forme de mépris chez certains [collègues]. (…) Il faut savoir que cela existe et que cela s’amplifie.

Pour la plupart, ils sont corrects mais il y en a quelques-uns qui ne nous considèrent pas très bien. Cela s’amplifie d’année en année. Ont-ils peur de devoir travailler comme les contractuels ? C’est difficile de lancer le débat avec eux parce qu’une fois, c’est pour rigoler, une autre fois, non. Je pense qu’il y a des anti-contractuels parce qu’avec le concours ils considèrent être entrés par la grande porte. Je me suis déjà accroché avec certains. Il y a une forme de mépris chez certains. Sont-ce ceux qui en ont bavé pour avoir le concours, ou pour revenir dans leur académie ? Il faut savoir que cela existe et que cela s’amplifie. Prof contractuel

Veux-tu ajouter quelque chose ?

si on n’arrive pas à « travail égal, salaire égal », il n’y a pas d’équité. Mais depuis une dizaine d’années, cela avance…

J’ai parlé du nouveau décret. On arrive à trouver un équilibre au niveau des droits, on a quasiment les mêmes droits : droit à la formation, droit au déménagement… Et ils vont entrer dans une démarche d’harmonisation pour la rémunération. Je pense que le président doit certainement jouer la carte de la contractualisation, à défaut de perdre la titularisation. Je crois qu’il veut travailler essentiellement avec des contractuels, beaucoup plus malléables, donc la tendance est de donner plus de choses, mais j’ai peur que cela soit de la poudre aux yeux, c’est l’arbre qui cache la forêt car si on n’arrive pas à « travail égal, salaire égal », il n’y a pas d’équité. Mais depuis une dizaine d’années, cela avance…

Un extrait de cet entretien réalisé par Jean-Luc Evrard a paru dans le dossier « Contratuel·le·  : un même travail, un même traitement » du no 285 -Mai-juin 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.