Dark romance : entre fascination et normalisation des violences sexuelles et sexistes

Devenue populaire chez les jeunes lecteurices ces dernières années, notamment grâce (ou à cause…) aux réseaux sociaux (Tik-Tok #BookTok, plateformes Wattpad et Reddit), la Dark romance s’impose dans les rayons des librairies, à grand renfort d’affichage 120 par 176.

Avec des titres comme Haunting Adeline de H.D. Carlton, Brutal Prince de Sophie Lark, ou Birthday Girl de Penelope Douglas, ce genre attire principalement les adolescentes.
La dark romance mêle amour, sexualité explicite, drames psychologiques et surtout des relations marquées par la violence, la domination, voire la criminalité.

Si certains lui reconnaissent le mérite de faire lire les adolescentes et si les fans défendent la liberté fictionnelle et et l’opportunité d’une exploration « safe » de ce genre de relation sans risque, la toxicité et la violence des relations qu’elle met en scène et normalise ne peuvent qu’inquiéter sur la perception des jeunes de la relation intime.


📌 Qu’est-ce que la Dark Romance ?

La dark romance est un sous-genre de la littérature sentimentale apparu aux USA aux débuts des années 2010 et devenu très populaire ces dernières années. Arrivée en France en 2015-2017, elle fait partie des nombreux sous-genres littéraires qui fleurissent : « young adult » (qui cible les 13-16 ans), « new adult » (qui cible les 18-25 ans), « romantasy », …

La dark romance se distingue des romances traditionnelles par ses thématiques sombres : relations déséquilibrées, manipulation psychologique, jalousie excessive dépendance affective, violences sexuelles ou conjugales. Souvent, les protagonistes masculins sont des anti-héros : mafieux, tueurs à gages, stalkers, dominateurs violents mais « brisés ».

Contrairement aux romances classiques qui valorisent l’équilibre émotionnel, la dark romance propose des dynamiques troubles, souvent avec des personnages masculins violents, mais charismatiques, que l’on cherche à « sauver ».

Ces récits cherchent à explorer les limites du désir, de la passion et du pouvoir, souvent sous couvert d’un pacte tacite entre auteur et lecteur : « ce n’est que de la fiction ». Pourtant, cette excuse ne suffit pas à balayer les effets psychologiques et sociaux de ces lectures, surtout chez les plus jeunes.

Les éditeurices ont trouvé le filon : la romance représentait en 2023 7% du marché du livre !

Par ailleurs, les couvertures sont « glamours », esthétiques, présentant souvent des fleurs, des couteaux, dans les tons rouge et noir. Les livres sont désormais promus à grands renforts d’affiches 120 par 176. Et les lecteurices peuvent trouver dans les rayons, à côté des livres, quantité de produits dérivés, stickers, tatouages éphémères, carnets de notes, …

⚠️ Les dangers de la dark romance

Contrairement à d’autres genres « sensibles » (horreur, thriller psychologique), la dark romance est souvent en accès libre, notamment en version autoéditée sur Kindle, Wattpad ou via TikTok. Or, peu de filtres d’âge sont appliqués, et les jeunes lecteurices peuvent tomber sur des scènes extrêmement explicites sans avertissement. Une lecture de ce type peut influencer les normes affectives des jeunes.

🗡️ Normalisation et glorification des comportements abusifs

Dans la dark romance, le héros exerce un contrôle extrême sur l’héroïne : il suit ses moindres faits et gestes, prend des décisions à sa place, la punit, la violente ou la manipule émotionnellement. Ces actions sont présentées comme romantiques, car elles sont accompagnées d’un passé traumatique censé les excuser. La répétition de ce schéma narratif peut amener les jeunes lecteurices à assimiler la violence à une preuve d’amour, et à croire qu’une personne toxique peut être « sauvé par l’amour ».

🪢 Influence sur la construction affective des adolescent·es

Les lecteurices, souvent dès l’âge de 12 ans, sont exposées à des récits où des relations toxiques sont idéalisées. Cette exposition précoce peut influencer leur vision de l’amour et des relations, les amenant à confondre passion et obsession. Un·e adolescent·e en pleine construction affective peut interpréter ces modèles comme des normes relationnelles. La fiction influence les attentes, les fantasmes et les choix amoureux, parfois de manière durable.

Certain·es lecteurices peuvent alors avoir du mal à distinguer les dynamiques relationnelles fictives de celles du monde réel, surtout si elles manquent d’expérience en matière de relations amoureuses. Cela peut les amener à tolérer, voire rechercher, des comportements abusifs dans leurs propres relations.

🗣️ Risque de banalisation de la violence

Des actes sexuels non consentis sont décrits comme « ambigus » ou « passionnés ». Le consentement est flou, voire inexistant. Cela affaiblit la compréhension des limites saines dans une relation. La répétition de scènes violentes dans ces romans peut entraîner une désensibilisation à la violence sexuelle, rendant la violence plus acceptable aux yeux des lecteurices et induisant une confusion entre désir et coercition. Ce phénomène, connu sous le nom d’« effet de simple exposition » (Robert B. Zajonc), suggère que plus une personne est exposée à un stimulus, plus elle est susceptible de l’accepter ou de l’apprécier.

🧭 Une consommation limitée et surtout avec discernement

Si les libraires sont questionné·es au moment de l’achat, iels peuvent échanger, (dé)conseiller, recommander. Mais les livres n’ont légalement aucune restriction d’âge et les libraires n’ont pas le droit de refuser une vente.

Il est donc indispensable d’anticiper et d’accompagner la lecture de Dark Romance, surtout auprès des plus jeunes qui seraient tenté·es d’y goûter, afin que les lecteurices soient conscient·es que ces récits sont fictifs et problématiques, et qu’ils ne doivent en aucun cas être pris pour modèle. Parents, éducateurs et libraires ont un rôle à jouer : discuter du contenu, poser des questions, proposer des alternatives moins toxiques mais tout aussi passionnantes.

Voici quelques clés pour une lecture plus saine :

🧠 Education à la Vie Affective, Relationnelle et à la Sexualité

Les séances d’EVARS, tout comme les enseignements de toutes les disciplines, sont toutes indiquées pour questionner cette littérature en rappelant inlassablement les notions de consentement, d’égalité, de respect.

🧠 Éducation à l’esprit critique

Les jeunes doivent être accompagnés pour distinguer fiction et réalité, comprendre les mécanismes narratifs de la fiction et les motivations des personnages. Rappeler que ces récits sont des fantasmes, parfois malsains, qui ne doivent pas être transposés à la réalité.

🧠 Proposer des alternatives littéraires

Il existe des romances sombres non toxiques, où les personnages évoluent sans manipuler, abuser ou violenter. Certaines autrices intègrent des ressources psychologiques dans leurs ouvrages ou proposent des mises en garde.

Privilégier des ouvrages adaptés à l’âge et à la maturité des lecteurices, en tenant compte des avertissements de contenu.