Fait notable : un rapport de l'inspection générale extrêmement critique sur cette mesure phare du "choc des savoirs" vient d'être publié.
La publication est, en elle-même, un coup majeur porté aux groupes de besoins, espérons que ce sera un coup fatal !
Fin 2023, Gabriel Attal, ministre de l’Éducation, présentait son « choc des savoirs », dont les « groupes de niveaux » étaient la mesure phare qui, d’après lui, allait être la solution aux problèmes du collège en général et de la grande difficulté scolaire en particulier.
Dès le détail de son projet connu, nous avons expliqué que non seulement ses propositions ne résoudraient rien, mais qu’elles allaient engendrer de nouveaux problèmes.
Aujourd’hui, alors que la première année de mise en œuvre de cette mesure arrive à son terme, ce ne sont plus des prévisions qui relevaient de l’évidence, mais un constat consternant qui est fait… et ce constat, c’est l’inspection générale elle-même qui le dresse !
L’échec annoncé est désormais constaté
Plusieurs aspects sont pointés par l’inspection générale :
Dans les établissements où ils ont effectivement été mis en œuvre, les groupes constitués ont très majoritairement été des groupes de niveaux. Cela a parfois relevé d’un choix des équipes. Le plus souvent, ces groupes de niveaux ont été observés par les inspecteurs dans des établissements annonçant avoir mis en œuvre des « groupes de besoin ». Ils expliquent cette « dérive » par la précipitation de la mise en application de la réforme, mais aussi par un « contexte d’un travail par compétences encore inégalement installé au sein des équipes ».
- Dans la très grande majorité des cas, la composition des groupes n’a pas évolué au fil de l’année et il y a rarement eu recours à la possibilité des 10 semaines (maximum) de regroupement en classe de référence.
- Des incidences collatérales, que nous avions pourtant annoncées de manière précise et sans relâche, ont mis les établissements et les équipes en difficulté :
- mission des professeurs principaux en classe de 6ème et 5ème,
- problématique du remplacement de courte durée sur les heures de français et mathématiques par les professeurs de ces disciplines,
- construction des emplois du temps,
- relative mise au second plan des professeurs de lettres et mathématiques au sein de l’équipe pédagogique d’une classe quand leur nombre est multiplié et qu’il devient difficile d’identifier qui est le ou la professeur·e de tel·le élève, etc…
- La difficulté pour les professeur·es « pour adapter véritablement et de manière efficace leurs pratiques professionnelles aux publics accueillis, notamment lorsqu’il s’agit des élèves les plus fragiles« .
- Et enfin, et ce n’est pas le moindre des problèmes, bien au contraire, c’est celui que nous pointions avec la plus grande des inquiétudes : ce tri des élèves a contribué à renforcer les écarts entre les élèves les plus faibles et les autres. Le fait est tellement avéré que les inspecteurs expriment leur inquiétude quant aux conséquences sur le moment du retour en classes entières en début de 4ème si le dispositif était maintenu. lls le disent d’une manière très explicite, en usant d’une métaphore :
Le creusement des écarts entre élèves : « une dérive programmée des continents »
Dans son rapport, l’inspection générale détaille bien les différents éléments qui ont participé à ce résultat catastrophique. Ils sont de différentes natures, commençant par la précipitation dans laquelle les établissements ont dû mettre en œuvre cette énième réforme, le fait que ce soit une « énième » réforme, les mois de tergiversations politiques après le départ de Gabriel Attal du ministère et son arrivée à Matignon. D’autres causes sont liées au dispositif lui-même et à la réalité des conditions d’exercice sur le terrain.
Des recommandations sans équivoque
La première de ces recommandations ne peut que nous réjouir parce que nous l’avons nous-mêmes portée avec force, notamment au Conseil Supérieur de L’Éducation (CSE) lors du vote de ce texte du « choc des savoirs » :
Revenir sur l’organisation des enseignements au collège où les cours de français et de mathématiques sont dispensés en groupes sur la totalité du volume horaire concerné, pour les classes de 6ème et 5ème
Cette question du caractère « systématique » et « sur tout l’horaire », nous l’avons tant de fois dénoncée ! En CSE, il y a eu unanimité sur des amendements proposant de supprimer cet aspect, un temps de discussion important et qui n’avait abouti à rien face à une administration sourde aux arguments, et ne se sentant pas autorisée à bouger d’un iota sur cet aspect de la réforme… Même en janvier 2025, lorsque les textes ont été modifiés pour un premier recul (acter la non-généralisation aux classes de 4ème et 3ème comme initialement prévu, par exemple), ce caractère « systématique » – « sur tout l’horaire » restait un symbole du projet initial, et de son initiateur, qu’il était impossible d’infléchir.
Saluons les inspecteurs généraux qui ont eu le courage de pointer qu’il s’agit là de l’essentiel du problème en mettant en première recommandation l’idée qu’il faut revenir sur ce point.
La deuxième recommandation pointe le besoin de temps long et les conséquences néfastes des réformes qui s’enchainent à un rythme effréné : nous ne pouvons qu’y souscrire aussi :
Veiller à inscrire toute politique d’évolution du collège dans une démarche systémique et de long terme
Il est aussi pointé la nécessité « d’engager un vaste programme de formation initiale et continue des enseignants du second degré portant en particulier sur la gestion de l’hétérogénéité des élèves« . En effet, un des écueils qui ressort de leur enquête est que, si le dispositif a permis de mettre en lumière la grande difficulté scolaire, il a aussi démontré que la prendre en charge ne va pas de soi. Une formation solide est nécessaire, afin d’être en mesure d’adapter ses pratiques pédagogiques et d’adopter des gestes professionnels nouveaux. Et même pleines de bonnes intentions, la plupart des équipes n’ont que peu réussi à faire vraiment progresser les élèves les plus en difficulté, cet échec accroissant le sentiment d’impuissance et pour certain·es une véritable souffrance professionnelle.
Pour les deux autres recommandations, nous applaudissons aussi l’idée qu’il faut « renforcer l’autonomie » même si pour nous ce doit être celle des établissements et pas uniquement celle du chef d’établissement. En effet, il ressort du rapport que là où des effets bénéfiques ont été observés, c’est dans des établissements qui ont mis en place un dispositif réellement adapté à leur réalité, mais ne suivant pas forcément strictement le texte sur les groupes tel qu’il est écrit. Et enfin, la préconisation d’un document formalisé présentant « une stratégie de réussite des élèves, de la 6ème et la 3ème, formalisé dans un document présenté en conseil d’administration » nous laisse perplexes. Il nous semble que si le fond est intéressant, il ne faudrait pas rajouter une feuille au mille-feuille existant, mais plutôt faire le lien avec ce qui existe déjà.
Quid de la rentrée 2025 ?
Pour la CFDT Éducation Formation Recherche Publiques, ce rapport, par ses constats et ses recommandations est le signal que les équipes doivent s’affranchir de la pression et des contraintes du texte qui a mis en place l’organisation des enseignements de français et mathématiques, 6ème – 5ème, en groupes de besoins. Nous avons toujours tenu cette ligne, elle est maintenant légitimée par l’inspection générale.
Dans son annexe, le rapport suggère des « préconisations pour guider les équipes dans la définition d’une stratégie destinée à accroître les connaissances et les compétences de tous les élèves en français et en mathématiques ». Parmi ces recommandations, nous attirons particulièrement votre attention sur la deuxième partie : « si l’établissement fait le choix d’alternatives aux groupes pour accroître les connaissances et compétences des élèves dans les savoirs fondamentaux ». Elle est particulièrement intéressante puisqu’elle acte la possibilité de ne plus organiser les groupes. Et, l’intérêt est bien d’allier cela avec la recommandation plusieurs fois faite au fil du rapport de renforcer l’autonomie et les choix permettant de s’adapter à la réalité de chaque établissement.
Ce rapport nous semble être l’opportunité tant attendue depuis deux ans de mettre fin à ce dispositif qui n’avait d’autre sens que servir l’ambition d’un éphémère ministre de l’éducation.